Cercle

Européen de

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     « 1714 – 2014, trois cents ans d’amitié franco-polonaise »

 

 

Pour commémorer  ce bel anniversaire, le CESCP a organisé, le 1° décembre 2014 à l’Ambassade de Pologne en France, un grand colloque international à l’occasion du trois centième anniversaire de la signature du premier traité d’amitié entre la France et la Pologne.

Pour rappeler et célébrer une aussi longue histoire d’amitié entre nos deux pays, le Cercle a demandé à nos intervenants, ambassadeurs, historiens, économistes et politologues, de jeter un pont entre les trois siècles passés et les liens actuels entre la France et la Pologne sur le plan politique, économique et culturel. Nous remercions vivement ces intervenants, tous membres du Cercle, qui nous ont offert un vaste et passionnant panorama de ces trois siècles :

 

 Mesdames :

 

-Beata de Robien, historienne et romancière, La Pologne, cœur convoité de l'Europe, sous le regard de la France ;

 

- Isabelle de Laguiche-Walewska, professeur d’histoire,  Marie Walewska, l’arme féminine du rapprochement  franco-polonais sous Napoléon

 

Messieurs :

 

-François Barry Delongchamps, ministre plénipotentiaire, ancien Ambassadeur de France à Varsovie, Trois cents ans d’amitié franco-polonaise pour la liberté le droit et l’Europe ;

 

-Dr Andrzej Nieuwazny, historien polonais, Les relations franco-polonaises au XXème siècle ;

 

La mort tragique de prof. Andrzej Nieuwazny, peu de temps après le colloque nous empêche de publier son exposé, un passionnant diaporama des relations franco-polonaises au XX siècle. Le Cercle rend hommage  à  ce grand historien et parfait connaisseur de l’histoire de nos deux pays.

 

-Patrick Gautrat, ancien Ambassadeur de France en Pologne, 2002 - 2004 : Le temps du désamour ;

 

-Alain Simon, conférencier, géopoliticien,  Quand l'actualité revisite une page d'Histoire ;

 

-Alain Delcamp, Secrétaire Général Honoraire du Sénat de la République française, modérateur du Colloque.

 

 

Textes des interventions :

  • Beata de Robien

    La Pologne, cœur convoité de l’Europe,

    sous le regard de la France

     

     Le sort de la Pologne est gravé dans sa topographie – un pays plat comme la main, donc facile à envahir - et dans sa géographie. Cet immense pays s’étendait à l’est jusqu’au tsar, d’où ses malheurs ; à l’ouest vers la Prusse, d’où un perpétuel danger : les chevaliers Teutoniques, en passant par les Prussiens, jusqu’aux nazis. Les hordes de l’Empire ottoman la menaçaient au sud, tout comme l’Autriche des Habsbourg, qui désirait l’inscrire à son tableau de chasse. Sans oublier les Suédois au nord, qui rêvaient de faire de la Baltique leur Méditerranée.

     

    Dans cet exposé, je me limiterai aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.

     

          Y-a-t-il un fil conducteur, un leitmotiv dans les relations polono-françaises ? La réponse est oui. La raison est surtout la rivalité prédominante, entamée à la fin du XVème siècle, entre deux grandes dynasties européennes, la dynastie française des Valois et la dynastie autrichienne des Habsbourg. La France cherchait en Pologne un contrepoids à la politique expansionniste de la maison d’Autriche. La Pologne qui voisinait à l’ouest avec l’Empire allemand gouverné par la même maison et au nord avec ses possessions héréditaires, voulait se libérer de la domination de Vienne.

        Il était évident qu’après la mort sans descendance du dernier Jagellon, Sigismond Auguste, le trône polonais deviendrait de facto électif et que les Valois allaient essayer de l’emporter sur les autres candidats (surtout les Habsbourg) pour le prince Henri d’Anjou, frère du roi Charles IX. Le règne d’un Valois devait renforcer la présence et la puissance politique françaises aux frontières est du Saint-Empire et contrebalancer l’influence grandissante de Vienne en Europe centrale et orientale.

    L’élection d’Henri de Valois résultait donc d’un calcul politique de la part des Français et, semblait-il, de la sagesse des nobles polonais.

     

         Un nain favori de Catherine de Médicis, originaire de Pologne, Jan Krassowski, lui vante son pays. Cette Pologne est un casse-tête, non seulement pour Catherine de Médicis, mais aussi pour toute l’Europe. C’est un royaume, certes, mais c’est également une République dont le monarque doit être élu.

     

    La France envoie sur place l’évêque de Valence, avec notre fameux nain, un fin diplomate, pour préparer ce que, aujourd’hui, on appellerait une campagne électorale. L’élection de 1573 sera la première de l’Histoire.

        Une république nobiliaire a de quoi effrayer le jeune Henri de Valois. Il a 22 ans et on lui promet pour épouse la sœur du défunt roi, Anna Jagellon, une vierge de 50 ans, l’âge de sa mère.

     

         On connaît la suite : la fuite d’Henri III à la suite de la mort de son frère Charles IX.

    Le résultat a été déplorable, les relations ont été rompues entre la Pologne et la France pour un quart de siècle, rancune et préjugés ont triomphé. Il ne fut plus question de sentiments ni de cordialité.

     

    En 1576, nouvelle élection en Pologne. De nouveau, le trône est brigué par les Habsbourg, cette race-là est tenace. Mais ce sera le prince de la Transylvanie, Stephan Batory qui sera élu et il ne se dérobera pas, il épousera Anna Jagelonka. Après la mort de Batory en 1586, ce sont les Suédois qui convoitent le trône de Pologne. Avec l’appui de la reine Anna, c’est son neveu Sigismond, de la dynastie de Wasa qui deviendra le roi de Pologne en 1587, il est Jagellon par sa mère Catherine qui a épousé le roi de Suède. Sigismond épouse une Habsbourg, fille de Ferdinand qui a beaucoup de filles. La force de la maison Habsbourg, durant des siècles, sera cette judicieuse combinaison d’alliances matrimoniales :

     

    « Alli bella gerant ! Tu, felix Austria, nube ! » (Que d’autres fassent la guerre ! Toi, heureuse Autriche, conclu des mariages.

     

    Sigismond III Wasa a 21 ans, après la mort de sa première femme, il épouse sa belle-sœur, malgré les protestations que c’est un inceste. Ils auront beaucoup de petits Habsbourg-Wasa. Celui qui nous intéresse, c’est Ladislas IV, qui va épouser Marie-Louise de Gonzague, le mariage plus ou moins arrangé par Mazarin. Devenue veuve, elle va épouser son frère, Jan Casimir, (celui qui est enterré à l’église Saint-Germain-des-Prés).

     

     

    L’ambitieuse française aimerait renfoncer le pouvoir du roi, obtenir l’élection du successeur vivente rege et de préférence que ça soit un Français. Et pourquoi pas son cousin Henri Jules de Condé, duc d’Enghien, fils du Grand Condé, son ex-amant qu’elle mariera avec sa nièce ?

    La reine Marie de Gonzague a marié toutes ses demoiselles d’honneur avec les hommes les plus influents de la Pologne et de Lituanie. Par ses intrigues, elle s’est fait beaucoup d’ennemis qui ne veulent pas entendre parler d’une réforme du système. Une horrible guerre s’ensuit avec les Suédois, que les Polonais ont nommé « le déluge ». Puis avec les Moscovites qui annexent une partie de l’Ukraine. Là-dessus, Marie-Louise meurt, Jan-Casimir abdique.

    Un court règne de Wisniowiecki, puis l’élection de Jan Sobieski qui avait épousé Marie-Casimire de la Grange d’Arquien.

     

          En 1683, Jan Sobieski gagne la bataille à Vienne. Toute l’Europe un moment menacée est en liesse. Seul Louis XIV reste silencieux. Le roi français ne pardonnera pas au roi polonais le salut de la Maison d’Autriche.

    Après la mort de Jan Sobieski, sa veuve empêche par tous les moyens que son propre fils soit élu roi, elle dérobe le sceptre et la couronne et l’héroïque vainqueur des Turcs sera enterré au château de Wawel en simple heaume de chevalier !

     

             La candidature de Conti, neveu du Grand Condé, cousin de Louis XIV

     

    Une propagande hostile a pris soin de rappeler tous les aspects négatifs de la présence de la France en Pologne dès Henri de Valois jusqu’au règne des reines françaises. La candidature de l’électeur de Saxe Frédéric-Auguste Ier de la dynastie Wettin, bien qu’arrivée relativement tard, obtient très vite l’appui des pays voisins de la Pologne : Russie, Autriche et Prusse-Brandebourg. Le fraudeur Frédéric-August s’est converti au catholicisme et aidé par le tsar Pierre Ier arrive rapidement en Pologne, avec une couronne dans ses malles, prête serment sur les conditions électorales et se fait couronner au château de Wawel, sous le nom d’Auguste II. Cela va diviser les Polonais car la majorité a voté pour le prince de Conti.

            Le matin, la Pologne n’avait pas de roi, elle en avait deux le soir.

     Lorsque le Prince de Conti, arrivé en retard, rejoignit la tête de la flottille française en rade de Gdansk, la ville s’était déclarée pour Wettin. Il se rendit compte qu’il n’avait plus aucune chance d’accéder au trône de Pologne, leva l’ancre et rentra en France. Car à présent, il ne suffisait plus d’être élu roi, il fallait encore s’emparer du trône.

     

     

    Paris suspend les relations diplomatiques avec la Pologne et le parti profrançais n’a plus vraiment de raison d’exister en Pologne.

     

     

          Le XVIIIe siècle apporta des changements déterminants dans la répartition des forces politiques en Europe.

         La Turquie est affaiblie. La Suède, suite à ce qui fut appelé la grande guerre du Nord (1700-1721), perd son influence dans la région de la mer Baltique. De son côté, la Pologne voit au fur et à mesure, son indépendance politique s’effriter. À l’opposé, la Prusse et la Russie renforcent leurs positions en commençant à jouer un rôle politique de plus en plus important. Dans cette partie de l’Europe, la diplomatie française apparait moins clairement orientée et indécise.

     

    Auguste II entraine la Pologne dans la guerre avec la Suède de Charles XII.

     

     

    Le rôle de Stanislas Leszczynski

    Le couronnement de Stanislas Leszczynski avec l’aide de Charles XII.

     

    La guerre de Charles XII avec le tsar Pierre 1er

    Le rôle de Mazepa

    La bataille de Poltava. En Russie, on le sait, l’ennemi principal n’est pas tant un soldat russe, mais l’hiver. La défaite et la fuite de Charles XII en Turquie.

     

    Après la mort de Charles XII, Stanislas Leszczynski quitte la principauté de Deux-Ponts et accepte l’hospitalité de Philippe d’Orléans qui règne au nom du petit Louis XV et s’installe à Wissembourg en Alsace.

     

        Le revers de fortune : comment Marie Leszczynska devient reine de France

     

    Dans les relations franco-polonaises du XVIIIe siècle, l’affaire du mariage du roi Louis XV attire l’attention de l’Europe entière. Le jeune monarque de 13 ans est déclaré majeur en 1723. Il avait une santé fragile, sa fiancée, Anne, était une infante espagnole de 6 ans et la France attendait avec impatience d’avoir un dauphin. Il fallait agir. À la grande fureur de Madrid, la jeune princesse fut renvoyée en Espagne et la marquise de Prie, dont l’influence en matière de politique étrangère était bien connue, organisa un « concours » pour une candidate au mariage avec le roi de France. Une équipe spéciale se mit à la tâche, afin de constituer une liste de jeunes filles dignes de cet honneur. On les choisissait sur leur âge, leur maturité sexuelle, leurs prédispositions biologiques, leur position sur l’échelle sociale (ni trop haut, ni trop bas), leur richesse, les contacts politiques de leur famille avantageux pour la France, leur religion etc. Au bout du compte, la liste comprenait quatre-vingt-dix-neuf candidates. Et après toutes sortes d’analyses minutieuses, le choix se porta sur la fille de Stanislas Leszczynski, adversaire d’Auguste II, roi infortuné de Pologne de 1704 à 1709, à la suite de l’appui de la Suède, alliée de la France. Maria Leszczynska (un nom imprononçable correctement pour les Français) répondait le mieux aux critères : elle avait 7 ans de plus que le roi, âgé de seulement 15 ans à ce moment, elle était biologiquement en bonne santé - cela fut vérifié par des analyses médicales scrupuleuses.

     

    Elle n’était pas riche - le roi Stanislas avait vécu dans la pauvreté durant son exil.

     

    Elle donnera à son mari dix enfants - elle est la grand-mère des trois derniers Bourbons du trône de France.

     

    La mort de Auguste le Fort en 1733.

         Louis XV soutient son beau-père, Stanislas Leszczynski, pour reconquérir de trône de Pologne. Mais son principal opposant était soutenu par l’Autriche et surtout par la Russie, et bien que Stanislas Leszczynski fut élu roi de Pologne à une très large majorité, c’est le fils du défunt roi, Auguste III de Saxe qui règnera.

    La Pologne se retrouva donc de nouveau avec deux rois.

     

     Les aventures de Stanislas, le siège de Gdansk, l’armée saxonne et russe à sa poursuite,

    Les navires françaises et le comte de Plélo, sa mort héroïque pour sauver l’honneur de la France, autant d’évènements dignes d’un roman.

     

    En Europe s’est ainsi dessinée une nouvelle répartition des forces. La période de rivalité entre la France et les Habsbourg prit fin après plus de 250 ans. A l’est de l’Europe, ce n’est déjà plus la Pologne, mais la Russie qui deviendra le partenaire principal de la France.

     

         En 1764, après la mort d’Auguste III, Stanislas Leszczynski, à 85 ans tente encore de jouer un rôle politique et s’apprête de nouveau conquérir le trône de Pologne.

     

    Stanislas August Poniatowski devient roi avec l’aide des baïonnettes russes de Catherine II de Russie, son ancienne maitresse.

                        Et l’ingérence russe dans la politique polonaise ne s’arrêtera plus.

     

    Comme nous voyons, la boutade du général de Gaulle : « Les pays n’ont pas de sentiments, seulement des intérêts ».

     

    Beata de Robien        Paris, le 1 décembre 2014

     

  • Isabelle de Laguiche-Walewska

    Napoléon et la Pologne

    Marie Walewska, l'arme féminine du rapprochement franco-polonais sous l'Empire?

     

    Quand on évoque les relations entre la Pologne et la France dans l’histoire, l’époque du 1er Empire apparait comme une période privilégiée du rapprochement franco-polonais. Le nom de Napoléon  vient aussitôt à l’esprit, et avec lui, toute une série d’images et de figures mémorables ; ainsi, par exemple :

          - La chevauchée héroïque des lanciers polonais vers le col de Somosierra en Espagne…

          - la mort tragique du Prince Joseph Poniatowski à la bataille de Leipzig (1813)…                                                                           Figure emblématique de l’amitié franco polonaise scellée sur les champs de bataille, celui-ci allait devenir un héros tant pour les polonais que pour les français : il est le seul étranger que Napoléon éleva à la dignité de Maréchal d’Empire, son nom figure sur l’Arc de Triomphe à Paris, et son corps repose à Cracovie dans la cathédrale de Wawel aux côtés des plus grandes figures de l’histoire polonaise comme Jean Sobieski .

          - Quant à Marie Walewska, « l’épouse polonaise » de Napoléon, elle reste dans l’imaginaire des peuples comme l’icône du rapprochement franco-polonais, à la fois touchante et étonnante du fait de sa passion pour la Pologne, mais aussi  de  son amour et de sa fidélité à l’Empereur. Depuis 200 ans, elle n’a cessé d’inspirer les historiens, les cinéastes et les romanciers : cette année encore, en 2014, un journaliste italien a  publié un roman historique sur le voyage qu’elle entreprit avec son fils, le petit Alexandre âgé de 4 ans ,pour aller retrouver à l’ile d’Elbe l’Empereur déchu… C’était il y a tout juste 200 ans !                                                                                                                                                                                                                                            ( En plus des nombreux livres déjà publiés sur sa vie, on peut consulter ses mémoires , dictées avant de mourir à l’intention de ses trois fils, et restées dans les archives familiales depuis l’origine ; elles sont désormais accessibles directement sur internet, sur le site : www.walewski.org )

          Alors, cette période privilégiée de rapprochement entre français et polonais au début du XIXème siècle, en quoi a-t-elle consisté exactement :

    - Pour commencer, comment l’expliquer ?

    - Ensuite, qu’en a-t-il été réellement :   qu’en attendait Napoléon ? Qu’en attendaient les polonais ?

    - Finalement, quelle place y a tenu Marie ?  Dans quelle mesure a-t-elle vraiment joué un rôle et contribué à ce rapprochement ?  (*1)

     

            Tout d’abord,  pour comprendre les raisons de ce rapprochement, il faut rappeler que la situation générale en Europe est très perturbée à la fin du XVIIIème par les effets de la révolution française.

                            Dans ce contexte perturbé, deux facteurs interviennent tour à tour :

           - le premier, c’est la disparition totale du royaume de Pologne en 1795 : les polonais perdent alors complètement leur indépendance, ceci au terme du troisième et dernier partage du pays entre ses trois grands voisins : russes, prussiens et autrichiens.  (déjà pourtant ,en 1793,  Kosciuszko qui comptait sur l’amitié des français, était venu à Paris  demander leur aide  pour son projet d’insurrection  contre l’occupation étrangère … mais il tombait  mal : c’était en France l’époque de la « Terreur », et la « la patrie en danger » était  menacée par une coalition des  souverains d’Europe … Alors, la grande insurrection polonaise, sans aucun soutien extérieur, devait finir par échouer un an plus tard ; elle  comptait parmi les nombreux morts Mathieu Lakczynski ,le père de la petite Marie , la future Marie Walewska : celle-ci, à peine âgée de 8 ans, allait devenir à partir de ce jour ,violemment anti russe …)

     

           - le deuxième facteur, ce sont les fulgurantes victoires que le nouveau dirigeant de la France, l’Empereur Napoléon 1er, remporte bientôt en Europe sur les trois puissances qui ont achevé de se partager la Pologne en 1795…

            Tout va en effet radicalement changer dans les relations franco- polonaises à la fin de l’année 1806, quand Napoléon et son armée mettent le pied pour la première fois sur le sol de l’ancien royaume de Pologne.  A ce moment là, Napoléon qui a déjà écrasé les autrichiens à Austerlitz, le 2 décembre 1805, puis les prussiens à Iéna, le 14 octobre 1806, vient de  quitter Berlin avec l’idée de poursuivre les russes sur le territoire même de l’ancien royaume de Pologne qu’ils occupent ; il veut les battre, et amener le tsar Alexandre 1er à traiter et faire la paix .

         Dès lors, Napoléon va donc être directement confronté à la question polonaise : au problème de l’éventuel rétablissement du royaume de Pologne …

         Bien sûr, depuis déjà longtemps, il n’ignorait pas le triste sort de la Pologne ;  il avait pu apprécier ,10 ans plus tôt, la détermination des volontaires polonais venus s’enrôler sous les ordres du Général Dombrowski et combattre à ses côtés les autrichiens en Italie,  lorsqu’il n’était alors que le jeune général Bonaparte, le chef de l’armée d’Italie ; mais à cette époque, son unique objectif était de vaincre les autrichiens ; la lointaine Pologne n’était en tout cas pas son problème immédiat…

         Dix ans plus tard, le contexte européen a  bien sûr totalement changé : en 1806,  c’est un Empereur, c’est Napoléon  qui arrive lui-même, et en vainqueur, en Pologne …

     

                       La Pologne va alors lui réserver deux « surprises » : d’abord une bonne, puis une mauvaise !

       -   La bonne, c’est l’extraordinaire enthousiasme que manifeste la population polonaise à l’arrivée de l’armée française ; Murat, arrivé un mois avant lui, fin novembre 1806, avec le gros de l’armée française, lui écrit, en effet : « Je dois parler à votre Majesté de l’enthousiasme qui a éclaté aujourd’hui à Varsovie à l’approche des troupes françaises. Il m’est impossible de vous le dépeindre, je n’ai jamais vu de ma vie un esprit national aussi prononcé. Je suis entré dans cette ville aux cris mille fois répétés de ’’ Vive l’Empereur Napoléon notre libérateur !’’  Ces mots sortaient de la bouche de toutes les classes de citoyens ; les femmes surtout de la noblesse et du peuple, indistinctement, ne pouvaient contenir leur joie. »

         Certes, comme en Italie, 10 ans auparavant, Napoléon  verra aussitôt le parti à tirer de la situation : associer toutes les forces polonaises à son entreprise contre la Russie …Mais, ce qu’il faut souligner ici, c’est qu’avant même de recevoir cette lettre de Murat, Napoléon semble déjà avoir décidé en quittant Berlin de rétablir la Pologne, sous une forme ou une autre.

    En effet, avant d’arriver lui-même en Pologne, il a fait lever une nouvelle armée de volontaires polonais  placée sous les ordres du Général Dombrowski (qu’il connait depuis ses campagnes d’Italie) et il l’encourage  à lancer, dès le 3 novembre ¬1806, une grande proclamation pour inciter le peuple polonais à l’insurrection et à reprendre les armes contre leurs oppresseurs ; par ailleurs, le 16 novembre dans une lettre au grand chancelier Cambacérès , il dit qu’il a « l’intention de marcher sur Varsovie pour rétablir la Pologne »,  et peu après, dans une allocution aux députés de Poznan, il déclare que la France n’a jamais reconnu le partage de la Pologne, ajoutant : «  Quand plusieurs millions d’hommes veulent devenir indépendants, ils réussissent toujours dans leur entreprise… »

        Autrement dit, Napoléon, déjà à cette date, laisse entendre aux polonais qu’il soutient leur juste cause, mais à  condition qu’eux même prennent les armes  pour l’obtenir   (sous entendu : puisque nous avons les même ennemis, les russes, aidez moi à les vaincre, et je verrai après la victoire comment vous satisfaire …)

         Il est évident que pour les polonais, Napoléon se présente à son arrivée en Pologne comme l’homme providentiel, celui qui peut et doit devenir leur libérateur, lui qui a déjà vaincu deux sur trois des puissances d’occupation : Autriche et  Prusse … On comprend dans ces conditions  leur explosion de joie à Varsovie à l’arrivée des Français ;  ils sont dès lors  prêts à tout pour convaincre l’Empereur de rétablir leur Royaume !

     

        -  Mais si,  à son arrivée en Pologne, Napoléon a la bonne surprise de constater l’accueil enthousiaste des polonais et la fermeté de leur engagement à ses côtés  contre les russes, la mauvaise surprise va être l’ampleur des difficultés qu’il  rencontre pour la première fois avec son armée au cours de la campagne de Pologne pendant l’hiver 1807.

          Jusque là, Napoléon n’a remporté que des victoires, et la perspective d’en découdre avec les russes ne l’impressionne pas ; il sait seulement qu’il lui faut une victoire rapide et décisive, car il vient de signer à Berlin le décret instaurant le Blocus Continental contre l’Angleterre, et pour assurer son efficacité, il importe de pouvoir imposer aux russes la rupture de leur alliance avec les anglais qui sont leurs principaux partenaires commerciaux …

          Or, à cause du froid, de la neige, et surtout de la boue  qui freine les déplacements, pour la première fois Napoléon n’a plus toujours l’initiative des manœuvres sur le terrain ; ses soldats souffrent de la faim,  du froid, ils veulent rentrer en France qu’ils ont quittée depuis si longtemps : ils  grognent, les « grognards » …!

        De plus, et là aussi pour la première fois, en février 1807, l’Empereur frôle la défaite lors de  la terrible bataille d’Eylau; c’est finalement une victoire, mais plutôt indécise et sanglante, où Napoléon, bouleversé par le spectacle du carnage franco-russe, décide de rester une semaine sur le champ de bataille pour faire enterrer tous les morts.

          Bien sûr, avec l’arrivée du printemps quatre mois plus tard,  Napoléon peut reprendre l’initiative, et sa victoire décisive à Friedland, le 14 juin 1807, amène le Tsar vaincu à demander la paix : c’est alors qu’a lieu, en juillet, la célèbre rencontre des deux empereurs à Tilsitt, sur un radeau au milieu du fleuve Niémen…

           Or l’Empereur des français aussi a vraiment besoin de la paix après tant de mois de campagnes, et surtout  d’une paix solide, durable ;  pour l’obtenir du Tsar Alexandre Ier,  il sait qu’il ne doit pas l’humilier en voulant lui imposer des conditions trop sévères …

           Dans ce contexte, si le tsar accepte, à Tilsitt, d’entrer dans le blocus continental,  il ne veut pas entendre parler d’une éventuelle restauration de l’ancien royaume de Pologne … Ce sont donc  les prussiens qui vont faire les frais de la nouvelle entente franco-russe : on utilise en effet les anciens territoires polonais repris aux prussiens  pour créer le ‘’ Grand Duché de Varsovie’’,   omettant volontairement de citer le nom de la  Pologne pour ne pas déplaire aux russes …Napoléon en confie la couronne au roi de Saxe, un ami fidèle de la France au sein de la confédération du Rhin dont il est le Protecteur : de ce fait, si le Duché se présente un peu comme un état satellite et une « marche militaire » de l’Empire français, c’est tout de même un état qui  jouit  d’une existence  autonome et dans lequel  le polonais redevient la langue officielle, ce qui permettra à Napoléon de proclamer après Tilsitt : « 3 millions d’hommes sont redevenus libres et ont retrouvé une patrie  … » Si les patriotes polonais sont déçus de cette reconstitution bien incomplète de leur pays, c’est que l’accord nécessaire avec le tsar pour obtenir la paix a obligé l’Empereur à modérer ses intentions à propos de la Pologne, provisoirement du moins ; la création de ce Duché est malgré tout un premier pas vers la réunification complète.

           En effet, deux ans plus tard seulement, en 1809, l’Autriche, qui a voulu reprendre la guerre, est écrasée à la bataille de Wagram et doit alors céder ses territoires polonais de Galicie ce qui permet d’augmenter d’un tiers la taille du Duché de Varsovie.

          Le tsar devient alors furieux car, à ses yeux, cet agrandissement du Duché représente une menace : il redoute que les polonais qui ont récupéré leurs terres sur les prussiens et les autrichiens, ne cherchent à reprendre aussi celles qui sont encore sous domination russe !

          Mais de son côté aussi Napoléon est mécontent, car les russes ne respectent pas le blocus continental !

    Les relations franco- russes s’enveniment peu à peu  et de part et d’autre on se prépare à une nouvelle guerre….

         Dès lors la Pologne, disons plutôt le Grand Duché de Varsovie, se retrouve au cœur du conflit et devient l’enjeu du bras de fer entre les deux grands  Empires : le tsar veut l’anéantir définitivement en tant qu’état indépendant, Napoléon  entend au contraire reconstituer la Grande Pologne du temps des rois Jagellon !

         A nouveau, l’Empereur a besoin plus que jamais de l’alliance et de la coopération des polonais, car le duché de Varsovie doit lui servir de base arrière pour la prochaine guerre contre les russes. Cette fois ci, il s’engage très clairement à l’égard des polonais, leur promettant de rétablir la  Grande Pologne après leur victoire conjointe sur les russes à l’issue de la nouvelle campagne militaire qu’il va lancer et qu’il appelle : ‘’ deuxième campagne de Pologne’’.

        Le 18 juin 1812, à Königsberg, et peu avant de franchir la frontière russe avec la Grande Armée, il déclare : «  Je bats l’armée russe, je m’empare de la Pologne russe, la réunis au Grand Duché et j’en fais un royaume … les polonais désirent l’unité, ils sont belliqueux, ils formeront une belle et nombreuse armée… La Pologne est riche, elle manque d’armes, je lui en fournirai, et j’aurai placé là une grande barrière contre les entreprises et ambitions des russes… »

         Encore une fois  les polonais font confiance à Napoléon pour battre les russes, et de nouveau ils participent massivement à l’effort de guerre : pour payer l’équipement des soldats, l’aristocratie vend son argenterie, le monastère de Czestochowa offre tout l’or de ses coffres… Grâce à cet immense effort, ce sont ainsi près de 100 000 soldats polonais ( plus de 1 soldat sur 5 au sein de la Grande Armée) qui vont entrer  en Russie .

         On connait la suite : l’échec de la campagne, et surtout la terrible retraite de Russie … (pendant laquelle il y aurait beaucoup à dire sur le courage des polonais, notamment au passage de la Bérézina où  ils entrent dans l’eau  glacée  pour construire des ponts et  permettre à la Grande Armée de traverser le fleuve, ou encore sur le fait qu’  ils seront  les seuls à rapporter quasiment tous leurs aigles  et  leurs canons …)

     

           Pour les polonais qui avaient lié leur sort à celui de Napoléon, la débâcle de la Grande Armée en Russie entraîne très vite la disparition du Duché de Varsovie, réoccupé par les russes dès janvier 1813.

           Pourtant, parmi les rescapés polonais revenus de Russie (moins de 20 000 peut être), beaucoup refusent de déposer les armes  et de se soumettre aux russes ;  derrière leur chef, le prince Joseph Poniatowski, ils décident de continuer la lutte auprès de Napoléon ;   ils seront même les seuls étrangers à rester fidèles jusqu’au bout à leur alliance avec l’empereur,  jusqu’à qu’à Waterloo en juin 1815…

            Mais bien évidemment, avec la chute de l’Empire français, devait s’effondrer le rêve d’indépendance des polonais...

     

                        Alors, dans ces relations franco polonaises conditionnées par les guerres napoléoniennes et dont nous avons vu l’évolution, quel a pu être le rôle de Marie Walewska ?  comment l’évaluer ?

          On a souvent dit  que Napoléon était misogyne : un jour, par exemple, il aurait déclaré : «  Pour une femme qui nous inspire quelque chose de bien, il en est 100 qui nous font faire des sottises … les femmes ont deux choses qui leur vont bien : le rouge et les larmes ! »

          Par principe, Napoléon n’attachait aucune importance aux opinions féminines en matière de politique et il détestait les femmes, comme madame de Staël, qui se piquaient d’avoir des opinions politiques …Ce n’est donc certainement pas une femme qui, aurait pu lui dicter sa politique !  Mais, entre dicter, et simplement influencer ou orienter par quelques mots souvent répétés ou sussurés sur l’oreiller… il y a une grande marge de manœuvre possible !

          Il se trouve que la première rencontre entre  Napoléon et Marie Walewska en Janvier 1807 correspond au moment même où  les polonais acclament l’Empereur comme leur sauveur, à son arrivée en Pologne …Pour Marie, cette très jeune femme mariée contre son gré à  Athanase Walewski, un grand aristocrate polonais, ancien chambellan du dernier roi de Pologne, et âgé d’une cinquantaine d’années de plus qu’elle,  Napoléon est le héros de ses rêves patriotiques, elle participe à l’enthousiasme des polonais à son égard ; violemment anti russe depuis la mort de son père tué lors de l’insurrection lancée par Kosciuszko, elle partage l’espoir des patriotes polonais de  convaincre Napoléon d’écraser les russes pour restaurer la Pologne ; et c’est exactement ce qu’elle va essayer de faire en allant à sa rencontre avant qu’il n’arrive à Varsovie … Du moins, c’est ce qu’elle raconte dans ses mémoires,  dictées plus tard à l’intention de ses trois fils .

             Elle serait partie avec une amie, en pleine nuit, déguisée en paysanne, dans le but de rencontrer  Napoléon qui devait s’arrêter au relais de poste de Blonie, un village avant Varsovie. Au milieu de la foule, elle aurait réussi à parvenir jusqu’à la voiture de l’Empereur, et, très exaltée à la vue de son héros, elle lui aurait dit, dans un français impeccable : «  Soyez le bienvenu, mille fois le bienvenu sur notre terre … rien de ce que nous ferons ne rendra d’une manière assez énergique, ni les sentiments d’admiration que nous portons à votre personne, ni le plaisir que nous avons à vous voir fouler le sol de cette patrie qui vous attend pour se relever… »  Marie, dans ses mémoires, ajoute que Napoléon, très surpris, aurait pris un bouquet qu’il avait dans sa berline et lui aurait lancé en disant : « Gardez le comme garant de mes bonnes intentions, nous nous reverrons à Varsovie, je l’espère, et je réclamerai un merci de votre belle bouche… » Il va en effet la retrouver peu après à Varsovie, et on connait la suite …

          Beaucoup d’éminents historiens ont mis en doute l’exactitude de cette équipée si audacieuse  de la jeune femme  au relais de Blonie : elle ne leur semble pas vraisemblable, car à la date qu’elle indique dans ses mémoires, le 1er janvier 1807, Napoléon ne pouvait passer par Blonie, à moins de faire un détour de 100 km … ( Cependant, il faut noter qu’ à l’époque où Marie  dicte ses mémoires, plusieurs années se sont écoulées,  elle peut donc avoir oublié ou confondu le lieu et la date exacte de cette rencontre …où est alors la vérité ? )

    Pour ces historiens, c’est plutôt Talleyrand qui en est à l’origine :c’est lui qui se serait arrangé pour faire présenter à l’Empereur, dès son arrivée à Varsovie, et au cours d’un grand bal, cette ravissante jeune femme ;  par la suite, le Prince Joseph Poniatowski, neveu du dernier roi de Pologne, Stanislas Poniatowski, serait venu, en personne et à plusieurs reprises, trouver la belle comtesse pour la convaincre de se « sacrifier » au nom de la cause polonaise …

        Finalement, peu importe vraiment où s’est faite leur première rencontre, même si  la version des mémoires est bien plus romanesque que celle des historiens !  car la suite est bien connue : Marie finit par céder aux pressions de son entourage et devient l’ ‘’épouse polonaise’’ de Napoléon… elle lui donnera un fils, Alexandre, en 1810 ; gardant une confiance sans borne pour le héros de sa jeunesse et le ‘’sauveur’’ de sa patrie, elle restera d’une fidélité à toutes épreuves, jusque dans l’adversité … !

          Dans ce contexte , si Napoléon savait fort bien tout seul la conduite qu’il entendait mener à l’égard de la Pologne, et cela dès la fin 1806, c'est-à-dire avant même d’avoir rencontré Marie ,il semble très vraisemblable que cette dernière ,par sa seule présence auprès de lui pendant plusieurs années, devait toujours lui rappeler ses promesses … Comment, en effet, aurait il pu rester insensible aux demandes de celle qui avait tout quitté pour lui, et qui lui manifestait sa confiance, jour après jour, année après années …

               La lecture de quelques extraits de leur correspondance devrait d’ailleurs nous éclairer dans ce sens :

         Ainsi, par exemple, juste après leur première rencontre, Napoléon lui écrit : « Venez, venez, tous vos désirs seront remplis, votre patrie me sera plus chère quand vous aurez pitié de mon pauvre cœur … » Evidemment, il est fou amoureux et il utilise ici  le chantage !  Mais, quelques mois plus tard, il confirme : « Il est de l’intérêt de la France et de l’Europe que la Pologne existe …Soyez patiente, à cause de vous, votre patrie m’est désormais très chère. »

         Après la victoire de Wagram en 1809 qui lui permet d’agrandir le Duché de Varsovie de la riche province de Galicie reprise à l’Autriche, il lui écrit encore : « Les affaires de Pologne sont rétablies… j’ai agi,  et c’était mieux que de te prodiguer des consolations. Tu n’as pas à me remercier, j’aime ton pays et j’apprécie à leur juste valeur les mérites d’un grand nombre des tiens. »  La même année, soit deux ans après leur première rencontre, il lui écrit encore ces mots enflammés : « Tu es pour moi une nouvelle sensation, une révélation perpétuelle, c’est que je t’étudie avec impartialité ;  c’est aussi que je connais ta vie jusqu’à ce jour. D’elle vient chez toi ce singulier mélange d’indépendance, de soumission, de sagesse et de légèreté qui te fait si différente des autres femmes … »

         Cette dernière lettre est intéressante car si Napoléon admire en Marie le fait qu’elle soit « si différente des autres », cela permet de penser qu’elle a pu exercer une certaine influence sur lui, à la différence des autres femmes !

        Dans ses mémoires, d’ailleurs, Marie raconte que la question polonaise revient souvent dans leurs conversations, précisant qu’un jour il lui dit, à ce propos : « Avoues, Marie, ce n’est pas moi que tu aimes, c’est ta patrie que tu aimes en moi ! »  «  Oui, Sire, je vois en vous le sauveur, le régénérateur de cette patrie qui nous est si chère ; vous êtes l’idole vers laquelle s’élèvent tant de milliers de voix…La population entière vous considère comme celui qui, d’une seule volonté, peut relever cette nation humiliée depuis tant d’années…Tous les cœurs se donnent à vous, pouvez vous douter du mien après m’avoir fait tout oublier, tout… ? Mais les remords ne m’atteindraient pas si j’obtiens la seule réponse digne de vous, digne de moi : la renaissance de la patrie…    Il me releva avec tendresse ».  « Tu peux être sûre, Marie, que la promesse que je te fis, sera remplie »

          A Sainte Hélène encore, Napoléon ne pouvait oublier Marie qui lui avait proposé de le suivre dans son exil ;  il portait sur lui l’anneau qu’elle lui avait donné à Vienne en 1809, et sur lequel était inscrit : « Quand tu cesseras de m’aimer, n’oublie pas que je t’aime ». Dans ses mémoires, le Mémorial de Ste Hélène, il fait cet éloge : « la comtesse Walewska fut d’une fidélité exemplaire, à l’image de ces fiers lanciers polonais qui m’ont aussi accompagnés jusqu’à l’ile d’Elbe et ne m’ont jamais trahis ni déçus ».

    Pour conclure sur la place tenue par Marie dans l’exceptionnel rapprochement franco polonais sous l’Empire, on peut donc raisonnablement affirmer que Marie, sans jouer un rôle déterminant, a eu sa part d’influence, en rappelant sans cesse à Napoléon son projet de restaurer la Pologne. D’ailleurs, alors qu’elle devait être un peu déçue par la renaissance incomplète de sa patrie après Tilsitt, Duroc lui aurait dit « patience, vous atteindrez le but qui vous tient à cœur ; laissez le faire, je vous assure que le rétablissement entier de votre digne patrie est à la première ligne de son plan politique »

             En effet, dès 1809, quand Napoléon est vainqueur des trois grandes puissances qui s’étaient partagées la Pologne, il peut poursuivre son objectif de reconstitution de ce pays en agrandissant le duché de Varsovie de la Galicie reprise aux autrichiens ; par contre, en 1815, vaincu cette fois  par ces trois puissances, il ne pourra les empêcher de se partager à nouveau la patrie de Marie, au Congrès de Vienne.

             Pour retrouver les mêmes circonstances qui avaient permis à la Pologne de commencer à renaître sous l’Empire, il faudra attendre 1918 : plus d’un siècle !  C’est en effet à l’occasion de l’écrasement de ces trois grandes puissances à la fin de la première guerre mondiale que renaîtra la Pologne...

          Mais auparavant, le souvenir de ces six années d’indépendance sous l’Empire allait marquer les générations suivantes polonaises, car ces quelques années avaient prouvé que si le retour à l’indépendance avait été possible, il pouvait l’être encore… à condition de reprendre la lutte, de se battre, de se soulever à nouveau … et cela allait être le cas tout au long du XIXème siècle, notamment en 1830, en 1863 …

        Le chant de guerre des légions polonaises d’Italie allait rester le chant de ralliement des insurgés avant de devenir l’hymne national au XXème siècle : « la Pologne n’est pas morte tant que nous vivrons ; Bonaparte nous a donné l’exemple comment il faut se battre ».  Et en effet, malgré l’échec final de l’épopée impériale et le très lourd tribut payé par les polonais dans les guerres napoléoniennes (100 00 hommes ?) , Napoléon allait rester auprès des patriotes polonais ,celui qui leur avait rendu l’espoir … Au Tsar qui lui proposait de changer de camp après la débâcle de la Grande Armée en Russie, Joseph Poniatowski aurait répondu «  J’ai juré de ne point séparer la cause de mon peuple de celle de Napoléon qui, seul, nous a tendu la main ».

          Ceci explique probablement très largement pourquoi le souvenir de cette époque exceptionnelle de  l’Empire  marquée par l’alliance franco polonaise allait persister en Pologne jusqu’à nos jours ; deux exemples en sont encore l’illustration :

         En 1921, les polonais qui venaient de retrouver leur indépendance, ont voulu célébrer le centenaire de la mort de Napoléon en lui élevant une statue en plein cœur de Varsovie. Cette statue disparut pendant la deuxième guerre mondiale. Retrouvée après la chute du régime communiste, elle vient d’être replacée, il y a seulement quelques années, dans la capitale polonaise !

          Quant au souvenir de Marie Walewska, il est resté de nos jours encore vivant, avec l’élection, il y a quelques années dans la ville de Pultusk, de la plus jolie fille censée incarner Marie !  Voilà en tous cas une autre façon  très moderne de célébrer celle qui fut l’icône du rapprochement franco-polonais … !

     

                                                                                                                                                                                                                                                    NB  : il est intéressant de remarquer que cette époque de l’Empire illustre à merveille la célèbre phrase que le Général de Gaulle prononça à Varsovie en 1967 «  Polonais ,français, nous nous ressemblons tant et tant ! … De siècle en siècle, il n’arriva jamais que nos deux peuples se combattent. Au contraire, le succès ou le malheur de l’un a toujours été lié au succès ou au malheur de l’autre ».

     

    *(1)   Cet exposé fut présenté de façon  abrégée dans le cadre du colloque organisé par le Cercle Européen de Soutien à la Culture Polonaise, à l’Ambassade de Pologne à Paris, sur le thème :

                                                           « 300 ans d’amitié franco-polonaise »,

     Le  1er décembre 2014

     

  • François Barry Delongchamps

    TROIS CENTS ANS D’AMITIE FRANCO-POLONAISE

     

     pour la liberté, le droit et l’Europe

     

      Je suis très honoré et impressionné de prendre la parole devant un tel auditoire. Mon expérience de la Pologne et des relations franco-polonaises m’obligent à la plus grande modestie et à la plus grande prudence, surtout au moment de m’exprimer devant des personnalités qui, je le sais, dominent ce sujet beaucoup mieux que moi.

     

      J’ai été ambassadeur de France à Varsovie entre 2007 et 2012, pendant cinq années où la relation franco-polonaise a été marquée par deux phénomènes décisifs : la poursuite de la construction européenne et un développement brillant de la Pologne. La nomination, qui prend effet aujourd’hui même 1er décembre de l’ancien premier ministre polonais Donald Tusk à la présidence du Conseil européen, montre l’ampleur et le succès du chemin parcouru. De fait les années que j’ai vécues et qui se poursuivent sont celles où la Pologne vit les meilleures années qu’elle a connues depuis au moins trois cents ans.

     

      Pour parler de ces trois cents dernières années des relations franco-polonaises, objectif quelque peu immodeste, j’ai choisi de concentrer mon propos sur des réflexions personnelles plutôt que sur une analyse érudite, fouillée et systématique des circonstances historiques. Ces réflexions me viennent d’abord naturellement de ce que j’ai vécu pendant 5 ans et de ce que j’ai compris des constantes de la relation franco-polonaise. Pour trier un peu dans ces réflexions, je vais distinguer trois registres de ces relations : celui du roman, celui de la réalité, qui est certainement moins aimable, et celui des intérêts qui me paraissent depuis toujours converger solidement et donner les plus grands espoirs pour l’avenir.

     

    LE ROMAN

     

     La Pologne fait partie du roman national de la France, et réciproquement. La richesse de nos références communes nourrit notre mémoire, nos discours, nos rencontres. Plutôt qu’un long exposé des motifs de cette évocation, je vais m’en remettre à un extrait du fameux discours de Victor Hugo à la Chambre le 19 mars 1846. Ecoutons-le : «  Deux nations entre toutes, depuis quatre siècles, ont joué dans la civilisation européenne un rôle désintéressé ; ces deux nations sont la France et la Pologne. Notez ceci, messieurs : la France dissipait les ténèbres, la Pologne repoussait la barbarie ; la France répandait les idées, la Pologne couvrait la frontière. Le peuple français a été le missionnaire de la civilisation en Europe ; le peuple polonais en a été le chevalier.

    Si le peuple polonais n’avait pas accompli son œuvre, le peuple français n’aurait pas pu accomplir la sienne… Ce sont là, messieurs, des faits qui ne peuvent s’effacer de la mémoire des nations. Quand un peuple a travaillé pour les autres peuples, il est comme un homme qui a travaillé pour les autres hommes … la reconnaissance de tous l’entoure… »

    Il conclut son discours, évidemment tourné vers l’injustice du sort de la Pologne, en s’écriant :

    Après toutes nos discordes et toutes nos guerres, les deux nations dont je parlais en commençant, cette France qui a élevé et muri la civilisation de l’Europe, cette Pologne qui l’a défendue, ont subi des destinées diverses ; l’une a été amoindrie, mais elle est restée grande ; l’autre a été enchainée, mais elle est restée fière. Ces deux nations aujourd’hui doivent s’entendre, doivent avoir l’une pour l’autre cette sympathie profonde de deux sœurs qui ont lutté ensemble. »

    Ce discours a été prononcé il y a 146 ans mais sa permanence est frappante. Il rejoint le cri de La Fayette, « toute la France est polonaise », que tant d’autres Français ont pu ressentir à tant d’autres époques.

    Cette consanguinité pathétique, au sens premier du terme, entre la France et la Pologne, fut naturellement nourrie et incarnée par l’émigration, bien plus que par les rapprochements diplomatiques et les mariages dynastiques. Un sentiment intime de solidarité – ravivé dans les années 1980 du 20ème siècle – s’est créé en France à l’égard des luttes des Polonais pour la liberté. Ensemble, les deux nations se trouvaient donc bien les grandes promotrices des idéaux universels du progrès et de la liberté dans une Europe réconciliée et unie. De fait, vu de Paris, le rétablissement de la souveraineté de la Pologne n’était concevable que dans ce contexte. Ce fut le cas, trop brièvement, entre 1918 et 1939, dans le cadre de l’Europe du traité de Versailles, et la ruine des empires qui se partageaient la Pologne. Mais c’était dans une Europe pas vraiment réconciliée et passablement ruinée. C’est le cas depuis 1989 et la magnifique solidarité des chantiers navals de Gdansk sur laquelle se sont brisés la dictature communiste et les tenailles de Yalta. Et c’est une Europe enfin entière et libre.

    Mais l’ennui avec le roman, c’est le retour à la réalité ! Si, comme on le disait en Pologne « Dieu est trop haut et la France est trop loin », on ne reprochera pas à Dieu ce que l’on pourra reprocher à la France : décevoir des attentes parfois impossibles. A côté du roman, il y a la réalité.

     

    LA REALITE

     

     Si la réalité est généralement moins aimable que la fiction, loin de moi l’idée que la relation franco-polonaise ne fut qu’une suite de malentendus et d’échecs. Je ne partage pas la formule de cet historien qui voyait dans la coopération franco-polonaise « des négociations très longues, des espérances très grandes, des résultats très minces ». Car, même si l’on songe aux impasses de nos entreprises communes, au XVIII ème siècle entre Choiseul et la Confédération de Barr, plus tard entre l’Empereur Napoléon et ses alliés polonais, enfin dans les années 1930, que voyons nous aujourd’hui. Tandis que les Empires qui se sont partagé la Pologne, mettant parfois la France en échec, ont tous disparus sans la moindre perspective de retour, la Pologne et la France, en même temps que l’Allemagne nouvelle, sont des partenaires étroitement liés dans l’entreprise commune européenne. Il y a pire comme aboutissement et comme malentendus !

     

     Ces relations se sont appuyées sur plusieurs faits majeurs :

     

    - Une fraternité d’armes millénaire : combien est juste la formule du général de Gaulle le 11 septembre 1967, « de siècle en siècle, il n’arriva jamais que nos deux peuples se soient combattus. Au contraire, le succès ou le malheur de l’un ont toujours été lié au succès ou au malheur de l’autre ». Je ne ferai pas la liste des combats, heureux ou malheureux, menés côte à côte. Je remarquerai que la formule du Général de Gaulle, qui s’y connaissait en matière de relations franco-polonaises puisqu’il avait lui-même servi et combattu sous l’uniforme polonais à un moment crucial, me parait déborder le cadre strictement militaire et s’appliquer plus largement à notre stratégie géopolitique.

    Trop longtemps sans doute, la France s’en est remise à la barrière de l’Est, constituée de la Suède, de la Pologne et de la Turquie, pour prendre la Maison d’Autriche à revers, sans voir que la montée de la Prusse et de la Russie moscovite, d’une part, les conflits entre ses alliés et les faiblesses grandissantes de l’Etat polonais, rendaient ce système de moins en moins pertinent. Déjà, à la fin de la Guerre de Trente Ans, le cardinal de Mazarin s’arrachait les cheveux, si je puis m’exprimer ainsi, devant l’absence d’armée polonaise.

    Cette histoire fut donc marquée, à de nombreuses reprises, par une frustration réciproque devant les attentes et les espoirs déçus.

    Ce fut vrai, hélas, au moment des partages, lorsque la diplomatie française, gênée par son alliance avec l’Autriche et surtout concentrée sur ses projets de revanche contre l’Angleterre, négligea la Pologne. Ce fut vrai sous Napoléon, qui se servit de la Pologne autant qu’elle le servit. Ce fut vrai entre les deux guerres mondiales et surtout en 1939. Il serait très compliqué, et surtout trop long de relever les erreurs, et peut-être les fautes, commises de part et d’autre dans ces différentes circonstances. Peut-être faut-il en revanche s’interroger sur le sens profond de l’inclination constante de la France pour la Pologne, et réciproquement. La ligne de la plus grande pente nous fait pencher l’un vers l’ autre par attachement à la liberté et au droit.

     

    Il y a toujours des exceptions à la règle ! Il faut donc faire exception du cas où l’alliance russe était indispensable à la France, ne serait-ce que parce que la Pologne était encore effacée de la carte, du fait des rapports de force en Europe, je pense aux années 1890-1914, et que cette alliance relevait un peu du miracle après l’isolement diplomatique terrible qu’elle avait connu depuis 1870, ce qui fut vrai également pour la France libre que Staline fut le premier à reconnaitre en 1944.

    En dehors de ces deux épisodes, la question s’est toujours posée selon dans les mêmes termes. Pour la France, le choix de la Pologne, c’est celui du droit, des lumières, de la liberté des peuples, grands et petits. Pas seulement notre liberté mais celle de tous et de l’Europe entière. C’était déjà dans la « raison d’Etat » de la France de Saint Louis et d’Henri IV. Ce fut plus vrai encore à l’époque contemporaine dans la logique du droit des peuples. C’était en particulier le cas à l’été de 1920 quand la France était aux côtés de la Pologne au moment de la bataille de la Vistule qui a sauvé l’Europe d’une invasion annoncée et potentiellement dévastatrice.

     Sans doute existe-t-il d’autres options, relevant d’une autre vision. Celle d’un ordre, européen ou mondial reposant non pas sur le droit, sur un ordre juste, mais sur la force n’ayant d’autre justification qu’elle-même et sur une hiérarchie supposée naturelle entre les Etats, certains prétendant, par une sorte de droit de naissance, à une zone d’influence et à des marques de respect particulières. Comme par hasard, ce fut en Pologne, lors de la Diète qui a élu Jean Sobieski, que l’ambassadeur de France a refusé, je crois pour la première fois, de céder le pas à celui de l’Espagne, qui y prétendait depuis un siècle et demi. Ce sont des choses qui ne s’oublient pas ! Ce sont aussi des choix qui mettent aussi en jeu des préférences philosophiques et politiques. On ne s’étonnera pas que les contre-révolutionnaires français du XIX ème siècle étaient de fervents admirateurs du Tsar Nicolas 1er. Toute comparaison avec les débats actuels autour de l’Ukraine ne relève pas à mon avis de la pure coïncidence !

     

    Dieu merci, en ce début de 21ème siècle, les malentendus éventuels entre la France et la Pologne prennent des airs moins tragiques. Mon collègue et ami Patrick Gautrat vous en parlera d’expérience. Mais il ne faut pas se voiler la face, l’amitié ne résout pas tout. Je vais prendre un exemple sur un sujet important qui est celui de la défense européenne : pendant des années, la Pologne a tout fait pour s’opposer aux efforts de la France en faveur d’une Europe de la défense, pourtant inscrite dans les traités européens, au motif que cette politique pourrait affaiblir l’alliance atlantique à laquelle Varsovie tenait par-dessus tout. Et c’est au moment où la France a constaté les limites de ces efforts et a décidé de rejoindre en 2008 la structure militaire intégrée de l’OTAN, que la Pologne s’est mise à militer pour l’Europe de la défense. Ces chassés croisés sont d’autant plus regrettables et dérisoires, que la France et la Pologne figurent parmi les pays européens qui négligent le moins leur effort de défense, instruits qu’elles sont des conséquences qui en résultent.

     

    L’essentiel, évidemment, demeure que la Pologne, redevenue indépendante et souveraine après 45 ans d’une occupation étrangère qui ne disait pas son nom, a retrouvé avec la France une amie et une alliée proche.

     

    En contrepoint de la fraternité d’armes, il y a un élément fondamental dans les relations entre les deux peuples que fut l’émigration des Polonais en France, à commencer par le plus illustre d’entre eux, le Roi Stanislas, qui réalisa le projet de l’Ecole des cadets de Lunéville, d’où sortiront certains des patriotes  qui tenteront de sauver la Pologne des partages. Viendra ensuite une migration d’intellectuels nourris des Lumières, puis l’élite militaire et patriote, dont les idéaux politiques rejoignaient ceux de la nouvelle République française. C’est un cas très rare dans l’histoire, où la vie d’une nation va continuer alors même que son territoire a disparu. L’âme de la Pologne a été transportée, et a traversé le siècle en s’associant à la France. La troisième vague, la Grande Immigration, à la suite de l’Insurrection de Novembre (1830), va faire nourrir une mouvance libérale, autour du Prince Adam Czartoryski, une mouvance démocrate, plus radicale, autour d’hommes comme Lelewel, un courant messianique avec Adam Mickiewicz, mais aussi des révolutionnaires comme les 600 polonais engagés et les meilleurs généraux de la Commune de Paris. Au-delà de ces péripéties parfois tragiques, la cause de la Pologne ne sera jamais oubliée et sera toujours associée à celle de la liberté et du droit.

    Près de 3 millions de soldats français, tués ou blessés, et beaucoup de Polonais avec eux, ont donné leur sang pour la victoire de 1918 qui a précisément permis au droit de l’emporter et à la Pologne de se relever.

     

    Plus tard, dans les années 1920, par centaines de milliers, puis de nouveau dans les années 1930, 1940, 1980, la France fut la destination naturelle de tant de Polonais, pour des raisons économiques ou politiques. Près de deux millions de Français ont des origines polonaises.

     

    Au-delà des hauts et des bas de la situation des émigrés polonais en France, tant notre histoire fut elle-même chahutée – en 300 ans la France a sans doute connu autant de constitutions différentes et de guerres civiles que la Pologne – ces réalités-là demeurent.

     

    Et pour résumer, je dirais que seuls nos mérites, nos succès et nos échecs sont à considérer. La France dispose aujourd’hui dans la conscience polonaise d’atouts considérables, membre fondateur de l’Union européenne, puissance militaire et politique, investisseur de premier plan. La Pologne, de son côté, jouit en France d’un prestige et d’une place très spéciale et méritée dans le cœur et au cœur de notre pays.

     

     

    LES INTERETS

    Dans la logique de ce que nous sommes, Français et Polonais, nous avons tendance à mettre à l’arrière-plan les intérêts qui nous rapprochent ou qui pourraient nous séparer, car nos relations se veulent  avant tout guidées par des sentiments et des idéaux.

    C’est pourtant, au fond, un élément essentiel de nos relations. Il l’a toujours été, même si l’on n’aime pas beaucoup le mettre en avant. Il demeure fondamental et me parait d’ailleurs une grande raison d’espérer un développement futur important de nos relations.

     

    Le Général de Gaulle disait que nous étions très semblables : « Polonais, Français, nous nous ressemblons tant et tant ! ». Je vois aussi quelques différences qui ont peut-être contribué à nous rapprocher parce que nous trouvons chez l’autre ce qui nous manque un peu chez nous. Même la distance a pu aussi nous rapprocher. Après tout, ce qui a beaucoup compté, c’est précisément que nous n’étions pas voisins, donc rivaux, mais au contraire animés d’une attirance réciproque faite de curiosité, d’appui mutuel, d’intérêts communs de toute nature. C’est en 1610, quelques semaines avant sa mort, que le roi de France Henri IV a créé un consulat à Dantzig pour développer le commerce entre les deux pays. C’est encore à Dantzig que nos forces ont combattu ensemble à trois reprises, et qu’un cimetière militaire français de près de 900 tombes y est entretenu aujourd’hui et fait l’objet chaque année d’une cérémonie émouvante franco-polonaise.

     

    Notre intérêt a toujours été de dépasser la variable de la distance et les querelles au sein de l’Europe. Nous y sommes enfin parvenus. Le triangle de Weimar par exemple – entente cordiale à trois depuis 1991 entre la France, l’Allemagne et la Pologne – montre que les bonnes  relations bilatérales des uns ne sont plus, heureusement, la résultante des mauvaises relations des deux autres. Finalement nous avons réalisé l’esprit du système européen que le prince Czartoryski imaginait en 1830.

     

    Concrètement, il ne s’agit pas d’être naïfs et d’ignorer la compétition économique. L’objectif est simplement de faire reposer nos relations sur un socle d’intérêts partagés :

    - D’une part, s’entendre et se coordonner pour faire prévaloir, dans le cadre européen, les intérêts que nous partageons. Ils ne manquent pas, pour peu que l’on sache bien les identifier : agriculture, énergie, formation des élites et des cadres, défense collective, exception culturelle. J’insisterai particulièrement sur la politique industrielle qui est une  tradition et un atout de nos deux pays. Là encore, il est clair que le succès ou l’échec de l’un sera lié au succès ou à l’échec de l’autre.

     

    - D’autre part coopérer et partager des programmes de développement scientifiques et technologiques avancés. Je ne crains pas de citer à cet égard, et de prendre pour exemple, le programme nucléaire polonais qui a abouti au doublement en deux ans des échanges scientifiques entre nos deux pays. Il y a aussi les chantiers navals et l’espace. Il faut être ambitieux.

    Il faut aussi être attentif. Les intérêts de nos deux pays sont soumis à des questions qui sont toujours sensibles: nos relations avec la Russie (je crois que j’en ai parlé tout à l’heure par une allusion assez lourde) ; corrélativement nos relations avec notre grand allié les Etats Unis, et enfin un sujet fondamental : le changement climatique.

    Mais il reste enfin une question qui domine toutes les autres et que l’on aborde qu’avec d’infinies précautions : celle des valeurs.

     

    Je me suis efforcé, tout au long de cet exposé, de montrer que les relations franco-polonaises étaient guidées, de siècle en siècle, par une certaine idée du droit, de la liberté et de l’Europe, faite d’équilibre, de respect des peuples grands et petits, de rejet de ce qu’on appelait autrefois la tyrannie. Molière aurait aimé vivre en Pologne car le parti dévot y était sans doute moins puissant qu’en France. C’est en cela que nous nous comprenons si bien.

    C’est pour cela que la question des valeurs, si chère à Lech Walesa, me parait centrale dans nos relations, même si le sujet n’est que très rarement abordé. Là aussi il y a des malentendus, toujours embusqués, comme le sujet de la laïcité, ou le rapport à l’Eglise catholique. Mais c’est un sujet pour une autre discussion./.

     

    François Barry Delongchamps

    1er décembre 2014

     

  • Patrick Gautrat

    RELATIONS FRANCO-POLONAISES 2002-2004

    LE TEMPS DU DESAMOUR

     

     

    En acceptant de traiter la période de mon second séjour de diplomate en Pologne, je m’expose à « détonner » quelque peu dans un colloque consacré à l’amitié franco-polonaise. Celle-ci est en effet le « fil conducteur » des rapports entre nos deux pays, au minimum depuis 300 ans. Nous avons pu, mon épouse et moi-même, le constater au cours notre premier séjour, de 1971 à 1974. Malgré la « différence des systèmes économiques et sociaux », comme on disait alors, le glorieux passé était toujours évoqué, de Napoléon à l’Après Première Guerre Mondiale, en soulignant bien que les deux pays n’avaient jamais été en guerre, que les émigrés polonais en France s’y étaient bien implantés et que le Général de Gaulle avait été le 1° en Occident à reconnaître le gouvernement pro- soviétique de Lublin dès 1944. La visite en Pologne du Général en 1967 était encore dans tous les esprits et le nouveau Premier Secrétaire du PZPR, Edward Gierek-ancien mineur en France- entretenait les meilleures relations avec Georges Pompidou. C’était le temps de « Entente, détente et coopération ». Mais lorsque la Pologne, après 1976, a voulu secouer le joug et surmonter sa grave crise politique et économique, le France lui a apporté de multiples témoignages de solidarité-y compris à travers ses diplomates à Varsovie- même si la réaction des autorités françaises ne fut pas toujours, jusqu’en 199O, à la hauteur des attentes de tous ceux qui combattaient pour la liberté de la Pologne.

     

    En revenant à Varsovie, en janvier 2002, le contexte était très différent.

     

    - Un certain nombre d’occasions avaient été manquées dans les années 90 et se sont succédées alors « des mini-crises, pas toujours suivies de retrouvailles chaleureuses ». En effet, et comme dans un vieux couple, les polonais reprochaient à la France diverses choses, à commencer par la promesse d’adhésion à l’Union Européenne en 200O, effectuée par le Président Chirac lors d’un discours à Varsovie en septembre 1996 ; déçus de ne rien voir venir, ils revenaient à des récriminations plus traditionnelles, allant de la fuite d’Henri de Valois au XVI° siècle, à notre « passivité » pendant les Partages du pays, suivies des espoirs d’indépendance donnés et non tenus par Napoléon pour terminer avec le tristement célèbre « Mourir pour Dantzig » de 1939 et notre impuissance alors devant l’invasion nazie en Pologne… Les bonnes relations de la France avec la Russie depuis lors, étaient également une critique récurrente.

     

    -Le renforcement des rapports avec les Etats-Unis étaient l’autre facteur essentiel du « désamour », les Américains apparaissant  comme le seul allié fiable en cas de menace venant de l’Est. La « Conférence des Démocraties » organisée à Varsovie en juin 2000 sous la houlette du Secrétaire d’Etat Américain Madeleine Albright était surtout un acte d’allégeance aux Etats-Unis et la France refusait d’y souscrire. La lutte contre le terrorisme après le 11/09/2001 fut une forte  incitation à se ranger derrière la bannière étoilée et le nouveau gouvernement post communiste SLD s’y ralliait sans réserve, le Président George W Bush effectuant un voyage triomphal en Pologne en juin 2001. Ne prenant pratiquement pas d’initiatives à  notre égard, les Polonais continuaient à récriminer vis à vis de la France, sur le thème de « l’amour déçu » non sans se complaire dans un certain « victimisme », souvent critiqué à Paris où l’on qualifiait parfois la Pologne « d’ami historique sans être un allié naturel ». Varsovie devait alors surmonter un dilemme délicat : Participer de façon résolue à l’édification de l’Europe et, dans le même temps, établir un partenariat privilégié avec les Etats-Unis.

    Tous les ingrédients étaient donc réunis pour qu’à partir de janvier 2002, ma mission soit difficile.

    Celle-ci se divisa, avec les années, en 3 phases distinctes :

    - 2002 : VERS UN NOUVEAU PARTENARIAT

    - 2003 : ANNUS HORRIBILIS

    - 2004 : LA RECHERCHE D’UNE RELATION APAISEE

     

    I / 2002 : VERS UN NOUVEAU PARTENARIAT

     

      A/ PROMOUVOIR  DES RELATIONS POLITIQUES, ECONOMIQUES ET CULTURELLES PRIVILEGIEES.

     

      C’était l’objectif principal de mes instructions puis de mon plan d’action. Il est clair alors que la Pologne sera le 6° « grand » d’Europe après son accession à l’UE et il convenait donc de soutenir sa diplomatie, notamment vis-à-vis des voisins de l’Est, pour empêcher qu’elle soit « une petite Grande-Bretagne ». Cela passe par un développement des contacts politiques bilatéraux à tous niveaux, y compris celui des présidents Kwasniewski et Chirac, ainsi que par une utilisation toujours plus soutenue du « Triangle de Weimar ». Au plan économique, la France doit encore développer ses investissements qui lui valent la 1° place en Pologne, de même que les échanges commerciaux. Dans le domaine culturel, notre présence est déjà notable et peut encore se renforcer alors que la Pologne va organiser en France la saison « Nowa Polska ».

     

     Un maître mot : La recherche de réalisations concrètes

     

     La visite de Dominique de Villepin, Ministre des Affaires Etrangères, à Varsovie le 10 octobre 2002, sera le point d’orgue de cette période de « retrouvailles ». Bien sûr, les sujets sensibles (Iraq, conditions d’adhésion à l’UE) sont évoqués mais sans polémique, les Polonais se montrant encourageants sur l’attitude des Américains vis-à-vis de Saddam Hussein alors que les Français promettent leur soutien dans les dernières semaines des négociations d’adhésion. Cependant, aucune réponse n’a été apportée aux questions françaises sur le marché des 48 avions multi-rôles où Dassault est en lice…tout comme sur une éventuelle implantation de Peugeot en Pologne. Mais l’enthousiasme du Ministre lève tous les doutes : Lors de sa rencontre à Gazeta Wyborcza avec Adam Michnik, il s’écrie « Enfin et bravo ! » pour saluer la prochaine adhésion de la Pologne et après avoir évoqué quelques grandes figures de celle-ci, il revient à plusieurs reprises sur le séjour de Napoléon à sa rencontre avec Marie Walewska : « En me promenant dans la vieille ville, j’ai pensé à Napoléon qui a vu cette place du marché telle que je l’ai vue aujourd’hui. C’est peut-être là qu’il a rencontré Marie Walewska »…et Adam Michnik d’ajouter que Bonaparte est le seul étranger qui soit mentionné dans l’hymne national polonais ! Hélas, cette euphorie sera de courte durée.

     

     B/ MAIS EN FAIT, TROIS SUJETS ANNONCENT LA DÉGRADATION DES RELATIONS

     

    1- Les rapports polono-américains deviennent fusionnels

    Après le 11 septembre, George W Bush avait parlé d’une Pologne « grande amie et grande alliée ». Alexandre Kwasniewski va donc visiter en juillet aux USA  des Etats à fort électorat polonais pour les mobiliser à l’occasion des « mid-term elections »en faveur des Républicains. Le Premier Ministre Leszek Miller se rendra à son tour à Washington en novembre, multipliant les déclarations d’admiration et de soutien aux Etats-Unis. Les américains accentuent les pressions sur l’Iraq et le marché des avions, ce qui fait qualifier la Pologne de « cheval de Troie »…

     

    2- La négociation d’adhésion est très difficile

    Le commissaire à l’élargissement, l’allemand Günter Verheugen, joue un rôle complexe, pressant les polonais mais les soutenant par derrière à la demande du chancelier Schröder, ce dont Paris a peu conscience ; deux points focalisent la discussion, la contribution financière et la PAC. Dans les 2 cas, les Polonais s’estiment lésés et Alexandre Kwasniewski se déplace personnellement à Paris le 3 décembre pour plaider le dossier de son pays auprès de Jacques Chirac à qui on a forcé la main pour qu’il le reçoive. Se conformant à la position définie avec l’Allemagne, le Président français se montre intraitable sur tous les points, affichant son impatience à propos des 48 avions. Furieux, son homologue polonais, déclarera sur le perron de l’Elysée que l’Europe est un b…(balagan en polonais) car ce qu’il vient d’entendre est différent du discours tenu dans une autre grande capitale !

     

    De fait, et après une négociation très serrée à Copenhague les 12 et 13 décembre au Conseil Européen, la Pologne accepte un compromis répondant à l’essentiel de ses revendications, notamment pour les aides directes agricoles. Le retour de la délégation polonaise à Varsovie est triomphal et le gouvernement polonais remercie vivement l’Allemagne pour son aide enfin révélée et qui place la France en position délicate…

     

    Symboliquement, le premier Ministre Miller ira passer le réveillon de Noël chez le chancelier allemand ! Mais le pire était à venir.

     

    C/LA CRISE DES AVIONS MULTIROLES

     

    1- Le marché de renouvellement de l’aviation polonaise est considérable

    On parle depuis le milieu des années 90 de la nécessité de moderniser la flotte des chasseurs de l’armée de l’air polonaise. 48 avions multi-rôles doivent être commandés pour environ 3,5 milliards de $ avec de fortes contreparties industrielles (« offsets »). Trois concurrents s’affrontent, l’américain F 16 de Loocked-Martin, l’anglo-suédois Gripen de Saab/BA et le Mirage 2000-5 du français Dassault qui, à la différence des deux autres, n’a pas de représentant permanent en Pologne.

     

    2- Les négociations font apparaître un clair avantage pour les Américains

    Lors des auditions à la Diète, le Président de la commission de la Défense, futur Président du pays, Komorowski, se montre résolument hostile à l’appareil français tandis que les Américains multiplient les campagnes d’intoxication en suggérant que la France exerce un « chantage à l’adhésion à l’UE » pour l’emporter. Pourtant la France « suit » quand les Etats-Unis proposent un prêt d’Etat à Etat d’Environ 4 milliards de $. Mais à l’ouverture des enveloppes le 13 novembre, Dassault est de loin le plus cher et virtuellement éliminé alors que la lutte reste acharnée entre les deux autres compétiteurs. Quand l’ambassadeur américain, Christopher Hill me confie que les anglo-suédois multiplient les « coups tordus », je comprends que nous ne sommes plus dans la course, Alexandre Kwasniewski indiquant à des journalistes le 14 décembre que Dassault ne s’implique pas vraiment.

     

     

    3- La victoire du F 16 déclenche un cataclysme en France

    Alors que l’ambassade avait maintes fois indiqué que les jeux étaient faits, l’annonce de la victoire américaine, le 27 décembre, soit 14 jours après l’accession de la Pologne à l’Union Européenne, provoque de très vives réactions dans tout le monde politique français, les Polonais étant taxés d’ingratitude et d’attitude anti européenne. En réalité, les dés étaient jetés depuis 1997 où Janusz Onyszkiewicz, le ministre de la Défense avait bien compris que le soutien des Etats-Unis à l’entrée de la Pologne dans l’OTAN impliquait l’achat de F 16. Mais à Paris, on ne voyait que complots de toutes sortes (y compris de la part d’un ambassadeur trop pessimiste) sans inventorier les multiples erreurs commises par le constructeur français. Mais la Pologne ne fut pas l’unique cas de ce type ! En tout état de cause, le choix de Peugeot d’aller s’implanter en Slovaquie fut ressenti par le gouvernement polonais comme une représailles à l’échec du Mirage alors que ce n’était pas le cas, l’entreprise privée Peugeot retenant le meilleur dossier.

    L’année 2003 commençait donc sous les pires auspices.

     

    II/ 2003 : ANNUS HORRIBILIS

     

    « L’agent diplomatique envoyé auprès d’un gouvernement étranger, devant toujours agir comme ministre de la paix, le maintien d’une bonne harmonie doit être l’objet constant de ses efforts. Si, cependant, il existe entre les deux Cours quelques sujets de mésintelligence, il doit porter tous ses soins à en dissiper les motifs, à éloigner tout sujet de mécontentement, à justifier sa Cour des torts que l’on croit pouvoir lui imputer et, enfin, à faire sentir à son tour ceux dont la sienne pourrait avoir lieu de se plaindre ». Baron de Mertens. Guide diplomatique 1837

     

    A/ LA RELATION TOUJOURS PLUS ETROITE AVEC LES ETATS-UNIS ET L’ABCES IRAQUIEN

     

    1- D’entrée, l’administration Bush annonce la couleur

    Donald Rumsfeld, Secrétaire américain à la Défense loue publiquement la « Nouvelle Europe », par opposition à ceux-comme la France et l’Allemagne qui ne soutiennent pas l’intervention militaire en Iraq. Mieux, les Etats-Unis suscitent une lettre « des huit » (dont la Pologne) qui affichent leur soutien à la politique de Washington le 30 janvier 2003. Leszek Miller se rend juste après aux Etats-Unis auxquels il renouvèle son soutien inconditionnel tout en déplorant que la France n’ait pas choisi son pays et sa région de Lodz pour implanter une nouvelle usine Peugeot.

     

     

    2 – D’où la réaction violente de Jacques Chirac

     A l’issue du Conseil Européen de Bruxelles, le 17 février, le Président français dénonce, en conférence de presse l’attitude des « huit » et, tout particulièrement de nouveaux membre de l’UE, dont la Pologne : « Si sur le premier sujet difficile, on se met à donner son point de vue, indépendamment de toute concertation avec l’ensemble dans lequel, par ailleurs, on vient d’entrer, alors ce n’est pas un comportement bien responsable. En tout cas, ce n’est pas très bien élevé. Donc, je crois qu’ils ont manqué une bonne occasion de se taire ». Jacques Chirac laisse enfin entendre que ce comportement « enfantin » pourrait compromettre le résultat des référendums sur l’élargissement dans plusieurs pays membres…En visite à Varsovie pour une réunion des ministres de la Défense de Weimar, Michèle Alliot-Marie justifie devant une presse polonaise très remontée les déclarations du Président français face à « l’agression » que représentait cette lettre…mais elle subit également lors d’un déjeuner chez Alexandre Kwasniewski les facéties de son conseiller pour la sécurité, Mark Siwiec qui mime le mutisme tout au long du repas, en mettant les doigts sur sa bouche ! Plus sérieusement, l’impact de cette déclaration sera très fort en Pologne,  un pays attachant tant de prix à sa liberté retrouvée depuis peu après des décennies d’occupation étrangère.

     

    Les opérations militaires commenceront un mois plus tard en Iraq et la Pologne y enverra jusqu’à 2500 hommes en ayant la responsabilité d’un important secteur. Tandis que les responsables polonais tiennent un discours lénifiant sur la volonté américaine de rendre rapidement les responsabilités gouvernementales aux iraquiens, George W Bush effectue ((31 mai) un bref déplacement à Cracovie où il qualifie la Pologne de « special friend »

     

    3-La crise des missiles « Roland »

    Dès le mercredi 1° octobre, l’ambassade signale une dépêche de l’Agence PAP selon laquelle des missiles de fabrication française « Roland » ont été découverts par des sapeurs polonais dans leur zone, 3 jours auparavant. Lors de la réunion d’un « think tank » américain le vendredi 3 octobre, Marek Siwiec mentionne la France…sans lui imputer la responsabilité de la présence de ces armes soumises à embargo depuis 15 ans. Le porte-parole du ministère de la Défense sera moins prudent en indiquant à l’agence Reuter’s que les dates inscrites sur les missiles pourraient indiquer que l’embargo a été violé. L’émoi est considérable au Quai d’Orsay le soir même et je suis prévenu le lendemain matin par le directeur de cabinet du Ministre que, faute d’excuses publiques des polonais, je serai immédiatement rappelé. Celles-ci surviennent en début d’après–midi  après que Jacques Chirac ait durement tancé à deux reprises le Premier Ministre polonais au Conseil Européen de Rome en début de matinée ; Leszek Miller me confiera le lendemain soir lors d’une réception à Varsovie que « rarement dans sa vie, il avait subi une telle eng… ! ». Mais paradoxalement, les médias parleront beaucoup moins de cette affaire que des incidents précédents alors que l’on avait vraiment frôlé cette fois-ci la crise politique. En effet, la relation bilatérale avait, à cette occasion, touché le fond.

     

    B/ LE PROCESSUS D’AHESION SE REVELE TRES DIFFICILE

     

    1-Certes, la Pologne vote « oui » au référendum d’adhésion

    Le résultat largement favorable (79%) au référendum des 7-8 juin (participation de 59%) surprend car les polonais avaient dû accepter le système de la double majorité et renoncer à la référence chrétienne…mais avaient obtenu le maintien du principe d’un commissaire par Etat. Cependant, la dynamique pro-européenne a bien fonctionné tant les attraits de l’adhésion étaient grands…

     

    2-Mais sur la plupart des chapitres, le gouvernement polonais n’est pas prêt

    Bruno Dethomas, l’excellent représentant (français) de l’UE ne fait pas mystère de ses craintes quant à l’état d’avancement des dossiers que la Pologne devait boucler rapidement : mise en place des fonds structurels, absence de notification des régimes d’aides publiques, déficience de la gestion des aides à l’agriculture, perméabilité des contrôles aux frontières de l’Union etc…A ces critiques générales, viennent s’ajouter des récriminations de part et d’autre : La France n’accepte pas assez de travailleurs polonais à l’exception de quelques infirmières comme le constate le ministre du Travail, François Fillon, à Varsovie en mai 2003…alors que nous déplorons la baisse des programmes de coopération « Phare » qui nous sont attribués et que notre demande d’un magistrat de liaison reste sans réponse.

     

    3-Un « sommet de Weimar peu concluant »

    Alexandre Kwasniewski, en fin politique, souhaite se donner le beau rôle, comprenant qu’il est peut-être allé un peu loin dans son tropisme américain ; il réunira donc dans la ville symbole de Wroclaw et à la date non moins symbolique du 9 mai, les responsables suprêmes d’Allemagne et de France. Peu à son aise au début, lors d’entretiens vides de substance où l’on évitera surtout les sujets qui fâchent, tant en Europe qu’au Proche-Orient ou en Afghanistan, Jacques Chirac se détendra progressivement, surtout à l’incitation de son ami Gehrard Shroeder. Un bain de foule chaleureux et la vodka polonaise auront bien contribué à faire oublier les sérieuses divergences qui demeurent.

     

    C/ UNE VISITE DE JEAN-PIERRE RAFFARIN A VARSOVIE POUR TENTER DE RENOUER

     

    1-La bonne formule Raffarin-Miller

    Afin d’éviter un nouvel affrontement entre les deux présidents, la bonhomie de Premier Ministre français est mise à contribution et son homologue polonais s’y prête volontiers, ne serait-ce que pour oublier les avanies qu’il a dues subir à Rome lors de «l’affaire des missiles » (cf supra). Les dossiers européens seront évoqués au fond, la Pologne restant très attachée au système de vote du Traité de Nice et voulant toujours plus de fonds structurels…alors que la France tente de l’intéresser aux affaires de la Méditerranée. Jean-Pierre Raffarin plaide aussi le dossier de « l’avion gouvernemental » Falcon (6 appareils, qui va se diluer au fil des semaines, nouvelle désillusion pour Dassault) alors que l’on aborde les nombreux contentieux économiques (EDF,  Canal +) mais aussi des investissements français (Alstom, France Télécom, Vivendi, Bouygues).

     

    2. Hélas, la visite souffre de quelques « couacs »

    Malgré la cordialité des discussions, y compris chez le Président Kwasniewski, une presse aux aguets (notamment RFI…et le « Canard Enchaîné) « fabrique » un incident selon lequel la Premier Ministre n’aurait pas été accueilli à l’aéroport par son homologue...alors que la visite commençait de façon privée au ghetto et ne débutait officiellement au château de Wilanow que deux heures plus tard ! De même, on attribuait à Leszek Miller des propos insultants pour la France (et non écrits) dans son discours au dîner…propos qu’aucun polonais n’avait entendus. Clairement, pour certains, il fallait que la visite se passe mal et les multiples dénégations de ceux –français et polonais-qui avaient participé  à la visite n’eurent qu’un effet relatif : « Calomniez, calomniez… ».

     

    Néanmoins, le Premier Ministre Français avait multiplié les gestes de bonne volonté et les déclarations élogieuses : « Je viens tendre la main… La Pologne est un Grand d’Europe et elle a une grande place dans le projet européen...il n’y a pas d’Europe à plusieurs vitesses ». A  Paris, on commence à comprendre qu’il faudra composer quelque peu avec la sixième puissance d’Europe et chercher des points d’accord en minimisant les différends. Ce sera l’objectif de l’année 2004.

     

     

    III/2004 : LA RECHERCHE D’UNE RELATION APAISÉE

     

     Progressivement, les deux principales causes de désaccords vont s’atténuer, avec les Etats-Unis et en Europe.

     

     A/ LA DESILLUSION CROISSANTE VIS A VIS DES ETATS-UNIS

     

    1- La visite d’Alexandre Kwasniewski en janvier laisse apparaître des dissensions

    Les 26 et 27 janvier à Washington, le Président Polonais entend les compliments habituels de George W Bush (« Alex is a nice guy »), mais il sait également que l’opinion publique dans son pays est majoritairement hostile à la présence de militaires polonais en Iraq et qu’elle souhaiterait une prise de distance vis-à-vis de la « démocratisation à marche forcée » que les Américains veulent imposer à toute la région.

    En outre, deux dossiers suscitent une grande déception :

    - Les Etats-Unis n’acceptent pas d’assouplir le régime des visas pour les polonais, se réfugiant derrière l’opposition du Congrès.

    - Les fameuses contre- parties industrielles aux achats des 48 F 16 tardent à venir et les promesses de ventes de matériel militaire de l’entreprise polonaise Bumar à l’armée iraquienne ne se réalisent pas. Malgré tout, les soldats polonais restent en Iraq.

    Désabusé, le Président Kwasniewski « confie » le 18 mars à quelques journalistes français qu’il « a  été mené en bateau » l’année précédente, propos démentis ensuite pour erreur de traduction …Il tiendra de nouveaux propos critiques pour les Américains quelques mois plus tard en affirmant dans « l’International Herald Tribune », le 2 septembre,  que « les Etats-Unis ne sont plus la 1° super puissance que nous avons connue » .

     

    2- La nomination de Marek Belka comme Premier Ministre va stabiliser les rapports

    En passe d’aller d’un extrême à l’autre, les rapports de Varsovie et Washington bénéficient de l’arrivée aux affaires de l’économiste Marek Belka, qui remplace en mai Leszek Miller, acculé à la démission par les divisions au sein du SLD et une succession de scandales. Le nouveau Premier Ministre, qui a étudié aux Etats-Unis,  a –en outre- été responsable des affaires économiques au sein de l’administration instaurée par la coalition en Iraq. C’est fort d’un réel capital de confiance qu’il se rend discrètement à Washington…le 9 août, s’abstenant de toutes les déclarations outrancières du « néo-converti » qu’était l’ancien communiste Miller. Cela rassure donc les capitales de la « vieille Europe ».

     

    B/L’EUPHORIE DU MOIS DE MAI

     

     1-l’adhésion le 1° mai et la visite de Michèle Alliot-Marie marquent ces retrouvailles

    Le 1° mai, toute la Pologne fête l’adhésion à l’Union Européenne et l’ambassadeur de France sera acclamé au Château de Varsovie par plus d’un millier de personnes lors d’une cérémonie à laquelle assistent plusieurs personnalités françaises pro- européennes. Les querelles de l’année précédente paraissent oubliées, d’autant que le Ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, quelque peu malmenée en février 2003 (cf supra), revient avec le « tapis rouge » pour assister à la place d’honneur au défilé militaire commémorant la Fête Nationale de la Pologne.   Lors d’un entretien chaleureux, le Président Kwasniewski se montrera optimiste sur l’assouplissement possible de la politique américaine en Iraq avec un rôle croissant de l’ONU et ira même jusqu’à critiquer les néo-conservateurs. Une visite en Pologne de Jacques Chirac le 27 janvier à l’occasion du soixantième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz est même évoquée. Le bref séjour du Président du Sénat, Christian Poncelet, le 25 mai, est également marqué par un entretien cordial avec Alexandre Kwasniewski.

     

    2-Mais « les accrocs »ne disparaissent pas pour autant

    -Le soixantième anniversaire du Débarquement en Normandie réunit les chefs d’Etat des gouvernements alliés ayant participé à l’opération « Overlord » ; or, le Président Polonais est le seul à ne pas avoir une entrevue en tête à tête avec Jacques Chirac mais devant se « contenter » du Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin ; Alexandre Kwasniewski fait savoir son irritation…

    -Le 1° août, à l’occasion de l’anniversaire de l’Insurrection de Varsovie en 1944, aucun officiel français de haut rang ne se déplace alors que Georges W Bush dépêche son Père et que Tony Blair envoie un Ministre d’Etat. Là encore, les Polonais « marquent le coup »…

     Il reste donc essentiel de mieux consolider la légère embellie observée ces derniers temps.

     

    C / DES PROPOSITIONS DE RELANCE DES RELATIONS FRANCO-POLONAISES

     

    Pensant que je vais demeurer en poste encore au moins jusqu’à la fin de l’année, j’adresse le 6 mai à Paris un long télégramme de réflexion sur la nécessaire relance des relations.

     

    1-Une attente politique de part et d’autre

     Marek Siwiec, le conseiller du Président pour la sécurité déjà cité supra, illustre les souhaits polonais vis-à-vis de la France par une parabole : « Le petit frère qui arrive à la majorité souhaite que le grand l’aide à mûrir vite. L’indulgence et la patience de l’aîné sont nécessaires…et il ne doit pas trop faire de remontrances ». Et d’ajouter que la Pologne « ne pouvait pas ne pas aller en Iraq ». Pour notre part, j’écris à Paris que nous devons toujours rappeler à nos interlocuteurs « qu’ils comptent pour nous…même s’ils ont avant tout besoin de la France alors qu’ils traversent une double crise politique et économique qui affaiblit leur position économique en Europe ». Comme notre Premier Ministre quelques mois auparavant à Varsovie, il faut toujours souligner qu’ils sont un « Grand » de l’UE en puissance, aussi grand et peuplé que l’Espagne.

     

    2-Les contacts à haut niveau doivent être intensifiés

     -Un séminaire inter-gouvernemental est programmé pour l’automne avec, au menu, les questions scientifiques et de recherche, l’éducation et la culture avec notamment les langues ainsi que l’élargissement d’Arte à la Pologne.

     -Michel Barnier, Ministre des Affaires Etrangères et les ministres « techniques » compétents devront  se rendre rapidement en Pologne pour discuter de la politique de voisinage à l’Est et des dossiers les plus sensibles de l’adhésion polonaise (Agriculture, admission des travailleurs, questions Juridiques et Affaires Intérieures (JAI) ainsi que de la lutte anti-terroriste.

     

     Pour toutes ces propositions, je suggère que nous leur imprimions un caractère concret et pragmatique, afin d’extirper le syndrome par trop « romantique » de nos rapports bilatéraux, source parfois d’une exaltation vite suivie de désillusions et de disputes. Mais il ne faudrait pas tomber dans l’excès inverse car il y a encore quelques réticences à Paris vis-à-vis du partenaire polonais. Ma conclusion est donc claire, comme un avertissement après tant de malentendus :

    « La France peut, par une prudence excessive, manquer l’occasion historique qui se présente de donner une nouvelle dimension, sans doute plus équilibrée, aux relations entre les deux pays ».

     Le message sera en partie entendu…mais cette nouvelle phase se construira sans moi !

     

     

     

     

    CONCLUSION : UN EPILOGUE EN DEMI-TEINTE

     

     

     

             Finalement, le 27 janvier 2005, Jacques Chirac ne se déplacera qu’à Auschwitz et n’inaugurera pas la nouvelle ambassade de France à Varsovie, pas plus que la réplique de la Statue parisienne du Général de Gaulle sur une grande place de Varsovie, deux évènements de portée symbolique jugés sans doute prématurés par le Chef de l’Etat pour marquer le réchauffement des relations bilatérales. La France continuera donc, à la différence de l’Allemagne, de se cantonner dans un soutien modéré à l’admission de la Pologne, jugée souvent inconstante et revendicative à l’excès. L’arrivée aux affaires de la droite assez dure du PIS des frère Kaczynski ne facilitera guère les choses et des « montées de lait » dignes de la funeste année 2003 auront lieu au début de la présidence française de l’UE en juillet 2008 quand le Président Lech Kaczynski menacera de ne pas ratifier le traité de Lisbonne au grand dam de Nicolas Sarkozy…Cependant, le « désamour » politique latent n’aura jamais entamé l’excellence des relations économiques et des réalisations culturelles remarquables dans les deux sens avec, notamment le succès de la Saison polonaise en France « Nowa Polska » 2004.

    Aujourd’hui, avec le recul d’une dizaine d’années, tout cela semble bien révolu et les rapports se sont « normalisés », dans le meilleur sens d’un terme à manier avec précaution dans cette partie de l’Europe. Pierre Sellal, Représentant de la France à l’UE et l’un de nos plus brillants diplomates, pouvait déclarer il y a quelques jours, devant un parterre de journalistes internationaux, que « La Pologne était désormais un partenaire de premier rang ». Tous admettent désormais à Paris que rien ne peut se faire sans une étroite concertation avec Varsovie, un contact permanent à tous les niveaux permettant de résoudre les malentendus et de surmonter les désaccords. Avec le nouveau président du Conseil européen, Donald Tusk, on doit admettre que la « Pologne est aujourd’hui une fierté européenne ».

    En fait, le temps du « romantisme », du « je t’aime, moi non plus » est sans doute derrière nous au profit d’une relation plus « businesslike » pour sacrifier au jargon franglais et cela ne va pas sans susciter une certaine nostalgie du temps où Andrzej Wajda faisait apparaître dans « Pan Tadeusz » des soldats de l’Empereur lorsque l’un de ses héros expirait en prononçant le mot « liberté » sur un fond de « Marseillaise ». Maintenant, dans « l’homme de l’espoir », le même réalisateur montre Lech Walesa au Congrès des Etats-Unis lorsque la même valeur de liberté est exaltée…Il ne faudrait donc pas que la France et le riche passé commun de nos deux pays ne disparaisse pas trop de l’esprit et du cœur de nos jeunesses, sans retomber pour autant dans une affectivité excessive, génératrice de conflits, par-delà une amitié séculaire.

     

        PATRICK GAUTRAT

      AMBASSADEUR DE FRANCE A VARSOVIE (2002-2004)

     

  • Alain Simon

    Quand l'actualité revisite une page d'Histoire

     

    Nous parlons de 1714...

    Les amitiés de l'époque nous semblent s'inscrire dans la durée...

     

    Mais les atlas et cartes de ce temps-là, sur lesquels se lisaient alliances et adversités ne sont pas aussi anciennes qu'on l'imagine, elles entrent même étonnamment en résonance avec notre actualité.

    Et de tous côtés en cette étrange année 2014!

     

    Car il en est des cartes avec lesquelles nous avons appris à regarder le monde comme de ces tables que l’on recouvre de feutrine. Celle-ci peut masquer mais ne fait pas disparaître les fractures entre les tables. De même la multiplication de couches de vernis n’occultera pas une marqueterie.

     

    Et les (jeunes) cartes ne font jamais disparaître les (vieux) territoires. Les premières sont gribouillées, dans l’urgence, généralement par les vainqueurs des conflits. Tandis que les seconds sont sculptés par le temps, par les identités, sentiments d’appartenance, systèmes de croyances qui continuent d’exister sous les vernis.

     

    A force de regarder la mer à marée haute, nous avions oublié les rochers recouverts. Ils se rappellent cependant tôt ou tard à notre absence de souvenirs.

    Et c’est bien là ce dont nous sommes témoins depuis quelques années, en accéléré depuis le début de 2014.

     

    Les vieux territoires secouent les oripeaux des jeunes cartes, elles s’ébrouent, ces vieilles identités auxquelles on avait pensé régler définitivement leur compte.

     

    On voit ainsi réapparaître la fracture ancestrale entre Cyrénaïque et Tripolitaine, nous qui avions pensé l’avoir badigeonnée d’une couche appelée Libye.

     

    Ressortent également sous nos yeux les lignes de partage archaïques qui partageaient l’Afrique avant qu’on les redistribue dans ce qu’on faisait semblant de croire être des Etats. Au motif qu’ils possédaient drapeau, équipe de football et possédaient un siège à l’ONU.

     

    Les clivages religieux, ethniques, ceux qui ont toujours opposé nomades et sédentaires, ces divisions dont on avait cru faire table rase, ressurgissent, s’ébrouent en se réveillant et se moquent de frontières n’ayant qu’un demi-siècle d’âge.

     

    D’autres antagonismes, venus du fond des temps, ressurgissent encore, chacun le constate, entre chiites et sunnites, perses, arabes, les combinatoires sont nombreuses, sans oublier les minorités. Ils font fi des découpages des Etats nés de la dissolution de l’Empire ottoman, lorsqu’on souhaitait aussi dissoudre des vieilles identités en les répartissant entre plusieurs Etats artificiels. Churchill disait que l’Irak avait été conçue un dimanche après-midi de folie.

     

    Mais, il arrive un jour où les fous des cartes se heurtent au principe de réalité des territoires, dans lesquels s’engouffrent d’autres fous barbares qui redessinent leur monde en faisant fi des frontières,  moins d’un siècle d’âge ces frontières, ce n’est rien à l’échelle de l’Histoire.

     

    On observe aussi que les oubliés des cartes, du XXème siècle, laissés pour compte des découpages territoriaux, les Kurdes et les Touaregs par exemple, tentent de saisir l’occasion pour obtenir réparation lors de la session de rattrapage qui s’ouvre.

     

    On pourrait multiplier les exemples, et en Europe également, de ces identités qui ont continué à vivre sous les cendres des découpages et des regroupements. Elles se réaffirment, ni l’Espagne, ni le Royaume qui a bien failli n’être plus Uni, ni la Belgique ne peuvent les dissoudre.

     

    Quant à l’Ukraine, à la Crimée, on gagnerait à regarder des atlas antérieurs au XXème siècle pour comprendre que ceux de 1945, ceux de 1991 ne correspondent pas aux appartenances identitaires historiques. Les cartes ne sont que des tableaux non figuratifs.

     

    Est-il utile de rappeler que la France des régions a offert, elle aussi, cette année même, de somptueuses illustrations ? On redécouvre notamment que les bretons sont promptes à retrouver leurs particularismes insulaires.

     

    Une évidence éclaire l’année 2014 : de tous côtés, les territoires prennent leur revanche sur les cartes, les identités déchirent les habillages qui voulaient les recouvrir.

     

    L’Histoire n’est donc pas un éternel recommencement : c’est la parenthèse ouverte pour tenter de l’arrêter qui vient de se refermer.

     

     

     

    Alain SIMON                                                                             Paris, le 1 décembre 2014

     

Résumé du Traité d’Amitié franco-polonais du 20 août 1714

 

 

Le traité d’amitié avec la France, signé par les plénipotentiaires d’Auguste II à Rydzyna, le 20 août 1714, était considéré par des historiens comme un épisode d’importance secondaire tant dans les relations européennes que dans celles entre la Pologne et la France. Cependant, des recherches poursuivies aux archives à Paris et à Dresde, complètes par des documents trouvés aux archives en Pologne, à Moscou, Vienne et à Mersebourg (anciennes archives prussiennes), ont permis d’attribuer au rapprochement entre la cour de Varsovie et celle de Versailles une plus grande importance que l’on n’en supposa jadis. C’était une épreuve du changement de la politique polono-saxonne, une épreuve manqué qui pesa lourdement sur l’avenir de la République et entrava les possibilités d’Auguste II de renforcer sa position sur le trône polonais.

 

Pendant presque toute la guerre de succession d’Espagne les relations entre les Wettins et Louis XIV furent tendues. La diplomatie française, sans pouvoir parvenir à une alliance avec Auguste II, soutint la politique suédoise, ce qui, entre autres, fit reconnaître roi Stanislas Leszczynski. Cet état des choses ne signifiait nullement – surtout après la restauration d’Auguste II en 1709 – que les deux cours n’essayèrent de négocier. A cette époque, les intérêts politiques d’Auguste II et de Louis XIV coïncidèrent de plus en plus. Les deux monarques ne voulurent pas laisser s’accroître la puissance de l’empereur Charles VI, qui en réunissant entre ses mains les Etats de deux branches habsbourgeoises, serait devenu dangereux aussi bien pour la France que pour la souveraineté des princes de l’Allemagne, assuré par les traités de Westphalie. Ils ne voulurent, non plus, laisser s’effondrer entièrement la position de la Suède: Versailles tenait à protéger des possessions de son allié traditionnel dans l’empire allemand – Wettin souhaitait maintenir l’équilibre de forces sur la Baltique. Du reste, su l’on avait échoué de devancer la ruine de la Suède – la diplomatie française se serait efforcée de trouver un nouvel allié dans le nord-est de l’Europe, pour la remplacer dans son jeu. Quant à Auguste II, il espéra que l‘appui de la France lui permettrait de renforcer sa position sur le trône de la Pologne et d’introduire le droit d’hérédité.

 

Ils existèrent, cependant, des raisons qui pourraient amener à un rapprochement entre les deux cours - celle de Varsovie et de Versailles – mais tous les efforts déployés se heurtèrent contre les obstacles persévérés. Dans l’entourage d’Auguste II emportèrent des adversaires du rapprochement de la France. Le parti « Français » fur dispersé au cours de la guerre du Nord. Parmi ses dirigeants, la plupart se mis sous l’autorité de Leszczynski et, après la Poltava, émigra ou resta dans le pays sans exercer aucune influence. Après la restauration d’Auguste II, le groupe qui lui était attaché et favorable à la France comportait la famille du grand maréchal de la couronne Bielinski, dont la fille, femme du grand chambellan lithuanien Denhoff, est devenue maîtresse influente du roi, et Kczewski, vovoïde de Malbourg. A ce camp se joignait, avec toutes les précautions gardées, Szaniawski, évêque de Cujavie. Ce groupe approcha de près Besenval, envoyé extraordaire de la France (en 1716 il dut épouser la deuxième fille de Bielinski, Catherine, du premier mariage Potocka) et est devenue la force motrice dans le rapprochement entre Auguste II et Louis XIV. Mais, bien qu’il la bienveillance du roi – il n’a toutefois pas acquis le pouvoir absolu de l’influencer dans ses décisions, ce qui, d’ailleurs, se répercuta sur le développement des négociations avec les diplomates français. En réalité ces négociations n’étaient guère menées par des diplomates polonais mais, plutôt, par ceux restés au service des saxons. La politique saxo-polonaise, cependant, manqua d’une action homogène, elle fut menée par plusieurs canaux, ce qui la rendit peu efficace et ambiguë. Il fut de même avec la politique française, qui, non plus, n’était pas trop claire. Aussi bien, à Versailles que parmi des nombreux agents diplomatiques en fonction en Pologne l’on hésita devant la décision de se rapprocher d’Auguste II ou de continuer d’appuyer Charles XII et Leszczynski. En réalité, Besenval fut le seul conséquent défenseur de l’alliance avec la cour de Varsovie.

 

De même que l’opposition qui régna à la cour de Versailles reflétait une malveillance pour rompre avec la politique traditionnelle de s’appuyer sur la Suède et de la remplacer  par un allié douteux – la situation internationale fort compliquée, dans laquelle se trouva l’Etat polono- saxon, justifiait les craintes des ministres saxons et polonais. Le rapprochement de la France pourrait affaiblir des alliances avec Vienne et faire provoquer la discorde de la ligue du Nord et, en conséquence, entrainer l’isolement politique néfaste surtout pour la République. Ainsi, les diplomates d’Auguste II qui menèrent les négociations faire particulièrement attention à ne pas violer les engagements en vigueur envers d’autres pays. Ces circonstances les privaient de la liberté d’action.

 

Ce furent des saxons et polonais qui en 1712 suggéraient de négocier. Flemming espérait pouvoir calmer les ambitions des partisans de Stanislas et faire arrêter  les menaces turques. Mais, ce n’était qu’en 1713, après l’arrivée de Besenval, qui quitta Danzig pour venir s’installer à Varsovie, que des conditions propices furent créées pour négocier. Le roi lui-même, Flemming, Werthen et, de temps à autre, le chancelier Szembek -  traitaient avec l’envoyé français. A cette époque les français voyaient dans le traité de Wettin, tout d’abord, le moyen d’accélérer la pacification de tout l’empire. La cour de Versailles voulut qu’Auguste II tienne ses promesses, qu’il limite la participation de ses troupes du côté de l’empereur et qu’il exerce ses influences sur des princes d’empire allemand afin d’activer le traité de la paix. La cour polonaise sollicita, en retour, que Versailles cesse de prêter son aide à la Suède et fasse cesser les attaques de la Turquie sur la République. En partant de ces principes, avant mi-novembre, un projet de traité fut rédigé. Il contenait, en plus, des clauses spéciales, qui engageaient Auguste II à ne pas livrer des troupes à l’empereur, et Louis XIV à ne pas se ranger du côté de la Suède. Outre cela, elles obligeaient à respecter intégralement les décisions des traités de Westphalie. Ces clauses spéciales provoquèrent des objections de la part de Flemming, qui fut absent de Varsovie pendant les discussions à leur sujet. Tout compte fait, le traité ainsi conçu, resta sans être approuvé et Suhm s’en alla à Paris pour y présenter des objections ainsi que soumettre des prétentions supplémentaires de la part de la cour des Wettins (attribution du titre de sa majesté à Auguste II).

Quant aux réserves des ministres d’Auguste II concernant la signature du traité – elles étaient provoquées, dans une grande mesure, par crainte devant la réaction de l’Autriche et de la Russie. Quique les négociations avec Benseval furent menées dans un cercle restreint, les infiltrations filtraient néanmoins par l’intermédiaire de Szembek, et parvenaient à la connaissance de des résidents Tiepolt et Dachkov. Ce premier répandait des bruits excessifs qui ont provoqué une crise prolongée dans les relations entre Vienne et Dresde. Le deuxième, relatait avec plus de modération. Mais ce ne fut que la cour danoise qui éveilla la méfiance de Petersbourg. Ainsi, Hetman Sieniawski et Pociej ont averti le tzar du coup d’état comploté et des préparatifs d’Auguste II à la guerre contre la Russie. Le rapprochement avec la France semblait confirmer la justesse de ces informations. Alors, Pierre Ier entra en relations avec l’opposition dans la République, qui cherchait chez lui l’aide pour défendre la liberté de la noblesse et l’appui pour détrôner Auguste II.

 

Entre temps, le traité de Rastatt oscilla le point de gravité dans les négociations entre les cours de Varsovie et de Versailles en attribuant une plus grande importance aux problèmes du Nord – ce qui a permis, sans contrainte, de se désister des clauses spéciales. Le traité ainsi appauvri se limita donc à une confirmation déclarative d’amitié, aux promesses d’aide mutuelle et d’affermissement de la paix en Europe. Le traité sous cette forme ne fut signé que le20 août 1914 après le retour d’Auguste de Dresde. Ratifié à la hâte par Louis XIV – avec l’hésitation des Polonais, ce traité ne marqua guère que le premier pas vers une coopération effective entre les deux cours. Mais, le côté français continuait à persister dans ses efforts pour se rapprocher d’Auguste II et suggéra, avec prudence, son appui dans ses desseins de renforcer son pouvoir royal en Pologne. Il fut de même pendant le séjour du fils royal en France ou l’on tenta de le marier à une princesse française. Tous ces efforts n’étaient que le moyen de déblayer le terrain afin de pouvoir asseoir, de manière durable, les Wettins sur le trône polonais. Toutefois la pacification entre la Pologne et la Suède – avec la médiation des Français – continuait à être le problème principal. Entre 1714 et 1715 on réussit à l’avancer, et la question qui présenta tant de difficultés de garder le titre royal de Stanislas fut prêt d’être résolue à l’amiable. Cependant au printemps 1715, lors des moments décisifs, la diplomatie française se décide à revenir à sa politique traditionnelle, favorable à la Suède. Non seulement la suggestion de laisser Stettin entre les mains prussiennes – pour arrêter l’attaque éventuelle de la Suède contre la République – fut rejetée, mais encore le traité signé par la France avec Charles XII lui assura l’aide financière et le consolida dans sa position – ce qui par la suite entraina la reprise des effets militaires en Poméranie. La mission du marquis de Croissy, dans ce moment historique, fut particulièrement fatale. Mal renseigné sur l’attitude prise par la cour polonaise – il tomba en conflit avec Flemming. Enfin, la France ne tarda pas à être témoin de la nouvelle et lourde défaite de son allié.

A la même époque, la position d’Auguste II dans la République vacilla et entraina l’abandon de la politique mutuelle de soutien avec la France. Les relations entre la cour de Varsovie et Petersbourg persistèrent à être tendues. La diplomatie d’Auguste II essaya de tirer des avantages du rapprochement de la France afin de gagner la Turquie et la Crimée et les diriger contre la Russie. Il est difficile à dire s’il s’agissait d’une guère ou plutôt d’une extorsion de quelques concessions – en premier lieu du droit sur la Livonie. Informée avec exagération sur des préparatifs de guère de Wettin, la cour du tzar s’affermit dans ses objections quant à la politique d’Auguste II concernant les évènements du nord et la situation intérieure en Pologne. L’attitude de Pierre Ier encouragea l’opposition polonaise qui attaquait le roi pour le maintien des troupes saxonnes dans la République. Certains diplomates du Tzar, tel que Dachkov, promettaient à la noblesse l’appui en cas de révolte contre le roi. Dans la même année de 1715 en été, Pierre Ier fit entrer, une fois de plus, ses soldats dans la République pour porter appui à la Prusse et au Danemark. Ainsi, le déclenchement de la révolte contre le roi et les saxons – la confédération du Tarnogród - ne se heurta guère aux réprobations du tzar qui, qui contraire, ne tarda pas à offrir ses médiations. Rapidement, les confédérés les acceptèrent. Peu après, Auguste II fit de même et lors d’une conférence à Danzig il tenta de rétablir les anciennes relations avec Pierre Ier. Ainsi, le rapprochement de la France qui aurait du apporter à Auguste II une émancipation s’acheva par une dépendance de son allié encore plus forte qu’elle ne fut auparavant.

Les études approfondies sur le développement des négociations concernant le traité d’amitié de 1715 ont démontré combien l’information diplomatique à cette époque-là était inexacte et douteuse. Aucune cour alliée ne disposait d’information consciencieuse et réelle sur ce que faisait Auguste II, quelles étaient ses intentions et quelles étaient les relations entre la cour de Varsovie et celle de Versailles. Le roi ordonnait à ses ministres et diplomates que leurs renseignements soient formulés d’une telle manière que qu’il puisse toujours défendre sa politique contre les attaques éventuelles de la violation des engagements envers ses alliés.

 

 Aussi, les informations que les cours alliées acquéraient par leurs propres moyens ne furent basées que sur des soupçons inspirés le plus souvent par l’opposition, soit sur des demi-mots chuchotés par des ministres, ou encore sur des suggestions de la cour de Wettin. En vérité ce n’était qu’un groupe fort restreint que l’on mettait au courant des évènements réels. Alors dans de telles conditions, la politique des cours alliées vers envers Auguste II devait se baser non sur la connaissance des faits véritables mais sur la déduction des faits probables que l’on voulait bien lui attribuer. Ainsi furent créées des conditions qui entrainaient des conflits inattendus, l’accroissement de la méfiance mutuelle et les violations des alliances.

 

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